En 1993, en Géorgie, un président déchu de son pouvoir et menacé par des forces rebelles (un personnage inspiré du premier président de Géorgie élu après l’indépendance du pays en 1991), refusant de s’exiler, recherche dans les montagnes d’éventuels partisans qui lui seraient restés fidèles. Il est accompagné de son premier ministre et d’un petit groupe d’hommes armés.
Bien qu’il ne raconte quasiment rien d’autre que l’errance de cette troupe, ce film séduit et même fascine, presque de bout en bout, par la seule force et la seule beauté de ses images. Dans une interview, le réalisateur rappelle que le premier président de Géorgie, évoqué dans ce film, était d’abord un poète avant d’être un politicien. D’où cette étrangeté d’un homme affrontant les rigueurs de la nature en portant un cartable. Comme s’il s’était lancé dans une aventure qui n’est pas à sa mesure et dont il sait qu’elle ne peut avoir qu’une issue inéluctable.
C’est avec poésie que George Ovashvili filme, lui aussi, cette étrange expédition. La nature, qui y règne en majesté, offre ses deux faces contradictoires : elle est le lieu des périls et elle est le lieu des contemplations. La troupe doit affronter de multiples dangers : un camion qui risque de se fracasser dans un ravin, un torrent qu’il faut franchir, une marche harassante dans la neige, et même une meute de loups qu’il faut tenir à distance en faisant tournoyer des torches dans l’air… Mais, à d’autres moments, il n’y a plus d’autre réalité que la beauté à l’état pur : la splendeur des montagnes enneigées, le mystère des forêts, la contemplation d’une biche et d’un faon malheureusement interrompue par le bruit d’une arme.
Des armes, il y en a, en effet, et l’on entend parfois le bruit que font les troupes rebelles, mais quasiment rien de plus. Au point que ce sont elles, les armes, qui semblent presque incongrues dans ce film. Ce sont la poésie et la grâce qui l’emportent en trouvant leurs points d’orgue, au début du film, lors de deux séquences qui se complètent. La première ressemble énormément à la somptueuse scène qui est au cœur d’ « Il était une fois en Anatolie » (2011) du turc Nuri Bilge Ceylan : ici aussi, une superbe jeune fille uniquement éclairée par une lampe à pétrole s’avance en portant une collation ; elle l’offre au président qui s’est retiré dans une chambre d’hôtel, mais c’est elle qui se met à pleurer (et non pas celui qui la regarde comme dans le film de Ceylan). La deuxième met en scène une autre très belle jeune fille qui, alors que tous se sont assis autour d’une table pour manger, se met, sur l’ordre de son père, à chanter une chanson traditionnelle de Géorgie. Instant de grâce aussitôt suivi par un chant joyeux et une danse endiablée que regarde, médusé, le président déchu.