Derrière sa fascination pour un glauque omniprésent et devenu presque boulimique tant il accapare l'attention, The Fly est de ces objets d'art qui convoquent et provoquent un nombre si grand d'émotions (dégoût, peur, pitié, mélancolie, tendresse) pour ne pas s'enfermer dans l'un d'entre eux et révéler l'absurdité qu'il y aurait à regarder une histoire pourtant si répugnante avec l’œil unique et rassurant de celui qui croit un peu trop en ses certitudes. Parce que les thèmes qu'il aborde (le dépassement de soi, l'étrangeté de l'amour, la présence morbide de la chair) sont complexes et impossibles à simplifier, Cronenberg les traitait comme tels et réussissait à mêler les impressions de façon complètement désarmante, rendant impossible de se protéger vis à vis d'un récit qui peut alors frapper librement, profondément. Le dégoût pour la créature est mêlé de pitié, une pitié qui passe de façon absurde mais irréfutable par l'amour qui demeure chez Geena Davis pour ce qui a un jour été Jeff Goldblum. Si je parle d'absurde, c'est bien parce que, devant une telle abomination, seul un rejet absolu parait envisageable, et pourtant... Cronenberg s'applique bien trop, tout du long, à nous rappeler comme les émotions sont insaisissables et spontanées pour que l'on ne croie pas, à regarder ses yeux, que le personnage ressente toujours malgré lui cet amour douloureux et complètement fou. Même le personnage de l'ex-petit ami, arrogant, égoïste et manipulateur, sert cette annulation de tout confort, cette recherche d'abolir tout repère sécurisant chez le spectateur. Longtemps détesté ou méprisé, ce personnage finit en effet par partager une complicité inattendue avec le spectateur par l'horreur que lui inflige le final, et l'impensable dont il a été témoin autant que victime. Dans son regard complètement éberlué, on sent que lui-aussi a abandonné sa morgue pour comprendre viscéralement que l'histoire dont il est devenu acteur dépasse, en matérialisant ce qu'on savait impossible, sa mesquinerie et toute inimitié puérile. Car le scénario de The Fly condense, plus que jamais chez David Cronenberg, des thématiques primitives et viscérales qui remettent en question la nature même que nous pensons inviolable, en franchissant un seuil dans l'altération possible de l'être humain au-delà duquel plus rien n'a aucun sens. La plus radicale de toutes les œuvres de David Cronenberg, et à mes yeux la plus marquante de sa période S-F. Toujours aussi impactant aujourd'hui, The Fly est si trivial que naît en lui, par réaction, une poésie élévatrice et plus que jamais garante de la poursuite d'une vie digne de l'idée d'être humain.