Film culte des années 80, "La Mouche" m’a longtemps rebuté. La faute, notamment, à sa réputation de films de monstres un peu dégeu… Et j’avoue avoir mis du temps à m’intéresser à David Cronenberg, dont l’univers me paraissait, plus jeune, beaucoup trop obscur et glauque. J’avais bien tort car "La Mouche" est une formidable réussite et, surtout, un grand film mésestimé qui va au-delà de son statut de "freak movie" ! C’est, tout d’abord, un film particulièrement bien écrit qui a l’intelligence de se concentrer sur les personnages et sur son thème principal, à savoir les dérives de la science, sans négliger l’aspect humain. En cela (et une fois n’est pas coutume), la romance entre les deux personnages principaux est un véritable moteur du film et permet une identification du spectateur indispensable pour l’apprécier à sa juste valeur. La descente aux enfers du scientifique n’aurait pas été aussi bouleversante si Cronenberg avait négligé de soigner le personnage féminin. A ce titre, l’alchimie entre les deux acteurs vedettes (en couple à la ville à l’époque) fait des étincelles. Jeff Goldblum bouffe littéralement l’écran avec son personnage de scientifique génialement cool et drôle (ce qui deviendra son fonds de commerce par la suite). Quant à Geena Davis, elle parvient, non seulement à éviter brillamment la piège de la petite amie cruche mais offre, par son naturel, un véritable contre-poids à son partenaire, ce qui n’était pas gagné dans la mesure où ce dernier est censé être l’attraction principale du film. C’est, d’ailleurs, grâce à elle, qu’on parvient à ressentir des sentiments aussi contradictoires envers Seth
lorsqu’il perd progressivement la raison (le monstre qu’il devient parvenant, ainsi à émouvoir)
. Même le troisième larron de l’histoire (John Getz) bénéficie d’une écriture épatante, son personnage d’amoureux éconduit semblant se diriger vers la rengaine du jaloux odieux qui va défier la bête avant de se faire tuer… mais qui, contre toute attente, évolue très favorablement au point de devenir un allié. Ce souci d’écriture est une véritable plus-value dans un film qui n’a, du reste, pas négligé la forme. Ainsi, outre le rythme de sa mise en scène et une BO de qualité (signée Howard Shore), Cronenberg a su soigner ses décors, rendant, ainsi, le laboratoire de ce brave Seth terriblement cool et sa machine à téléporter (le telepod) instantanément culte (c’est l’affiche du film). Quant aux effets spéciaux, il s’agit, ni pus ni moins que d’un tour de force magistrale qui sert parfaitement la vision de Cronenberg. Car, si La Mouche a fait sa renommée sur ses scènes d’horreur, ce n’est pas un hasard tant les différentes transformations du héros sont époustouflantes de réalisme et glacent par leur représentation
(les ongles et les dents qui tombent, le reflux qui sort de la bouche, la transformation finale…)
. Cronenberg ne fait pas, pour autant, dans le "dégueulasse glauque" puisque insuffle une bonne dose d’humour à son film (grâce à son acteur principal notamment) et trouve, ainsi, un équilibre inespéré entre horreur frontale et comédie. Il durcit, d’ailleurs, le ton à mesure que l’histoire avance… jusqu’au terrible dernier acte, qui marque durablement les esprits
(la Mouche horriblement mutilé qui tend l’arme pour qu’on l’achève)
. Cronenberg en montre, donc, beaucoup mais ne se montre jamais bêtement outrancier. C’est ce qui fait de "La Mouche" un film à part, qui mérite vraiment d’être redécouvert, ne serait-ce que pour confirmer qu’il est bien plus que le film de monstre, tel qu’on l’a vendu lors de la sortie.