Sur un thème d’une banalité qui pourrait paraitre plombante, Guillaume Senez réussit un très joli film, tout en délicatesse et en subtilité. Sur le papier, son film ne part pas gagnant : le point de départ du type qui se retrouve seul avec ses deux enfants parce sa femme le plaque, c’est vieux comme « Kramer contre Kramer », c’est le quotidien de beaucoup de gens et comme thème de film, ça ne fait pas rêver grand monde. En plus, en se renseignant un peu, on apprend que Senez a tourné sans dialogues écrits, laissant une part immense à l’improvisation. Dans le fond comme dans la forme, « Nos Batailles » (type bateau, affiche sans imagination) part avec un vrai handicap, et pourtant… Au final, on assiste avec ce film à un petit miracle. Déjà, Guillaume Senez calibre son film comme il faut, il a juste la bonne durée, il ne baisse pas de rythme, on peu y trouver de tout : du suspens, de l’émotion, quelques sourires aussi (pas beaucoup, mais au milieu d’un film assez sombre, ça se remarque plus !). Une musique sympa, bien utilisée, une réalisation très propre, la copie de Guillaume Senez, sans faire d’esbroufe, mérite une bonne note. Le casting est à l’avenant et c’est surtout Romain Duris qui impressionne. Parce qu’il est quasiment de toutes les scènes, parce qu’il passe par toutes les émotions, parce qu’il compose un personnage complexe, pétri de qualités et de défauts qui se croisent, s’entremêlent, il donne corps à un très beau personnage de père. Il est un père aimant, maladroit, parfois irresponsable, parois étouffant. Mais il est aussi un frère, un fils, un ami aimant, maladroit, parfois irresponsable, parfois étouffant, Il improvise beaucoup, mais il faut le savoir pour le remarquer parce que si on ne le sait pas d’emblée, on ne s’en doute pas une seconde, ce qui est la preuve d’un talent d’acteur très maîtrisé. Duris est capable de tout jouer, il l’a déjà prouvé plein de fois, ici, il enfonce le clou encore un peu plus. A ses côtés, les enfants (Basile Grunberger et Lena Girard Voss) sont évidemment désarmants de naturel, ils sont pile dans le ton qui convient, ils n’en font pas trop, ils sont formidablement bien dirigés. Et puis Romain Duris est entouré d’un casting féminin qui fait très bien le job, de Laura Calamy en syndicaliste et amie faussement joviale (un personnage intéressant qui aurait presque mérité plus de lumière), à Laetitia Dosch en sœur qui n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal, en passant par Lucie Debay, qui interprète Laura. On ne la verra pas beaucoup mais il ne lui faut pas plus de trois-quatre scènes en apparence anodines pour qu’on comprenne vite qu’elle est émotionnellement au bord de la rupture. C’est aussi grâce à un scénario finement écrit que tous ces acteurs arrivent à faire passer tellement de choses. Le scénario de « Nos Batailles », c’est la vraie force de ce film car il évoque la détresse d’un père « abandonné » sous l’angle difficile de la prise de conscience. Le personnage d’Olivier va devoir passer par plusieurs étapes, comme un deuil, pour rebondir : le déni, puis il cherche s’il y a un autre homme (parce que c’est l’explication la plus confortable pour lui, celle qui évite de se remettre en question), puis la colère, puis la tentative idiote de retrouver lui-même Laura (au risque de tout aggraver) jusqu’à enfin, poussé par ses enfants, une remise en question, une prise de conscience, une sorte de nouveau départ dans tous les sens du terme. Olivier, même si ce n’est jamais dit franchement, reproduit le schéma paternel, celui d’une génération où les hommes gagnaient l’argent à l’usine et les femmes se chargeaient silencieusement et consciencement de tout le reste. Sauf que les temps ont changés et qu’aujourd’hui, les femmes craquent et se cassent. Il le sait, au fond, qu’il a reproduit ce schéma, il n’y a qu’à voir la façon dont il se braque dés qu’on évoque le sujet de son père. Il a beau se faire violence, il a beau se considérer comme un homme moderne (ce qu’il est malgré tout), quelquefois, par une parole, il trahit une pensée profonde encore assez machiste. Il n’y a qu’à voir le scud qu’il envoie à sa sœur pour la convaincre de rester encore un peu au foyer (et tenir lieu de maman de substitution), il le regrette aussitôt mais la mal est fait : le naturel est revenu au galop ! Cette épreuve, aussi douloureuse soit-elle, est salutaire pour Olivier, qui ouvre les yeux, qui prend conscience que des enfants, ça ne pousse pas tout seul, qu’il a besoin d’aide, et pas seulement au quotidien. Le fin du film est très bien vue et parfaitement dosée : pas de happy end, pas de rebondissement, juste une porte qui s’ouvre, un peu amère mais aussi pleine d’espoir, une très belle fin qui me convient parfaitement. « Nos Batailles » a une autre qualité, celle d’évoquer les conditions de travail dans les plateformes type « Amazon », et ces conditions mériteraient presque un long métrage à elles seules : Management par la peur, médecine de travail complice de la direction, cadences infernales et heures sup imposées, conditions de travail dégradantes (pas de chauffage ou presque), mise en compétition des ouvriers entre eux, tout ce qui est montré dans « Nos Batailles » est édifiant et probablement très proche de la réalité. La scène d’ouverture, courte mais violente, pose d’emblée le problème et sans ambigüité. Montrer tout cela dans une fiction a, je trouve, bien plus de poids que dans tous les documentaires possibles. Parce que l’on s’est attaché à Olivier, à sa personnalité, à ses problèmes personnels, on ressent avec une acuité plus forte la violence de son travail. En résumé, difficile de trouver à redire à « Nos Batailles » qui constitue une vraie bonne surprise dans cette rentrée cinéma. Sans promo, avec un sujet aussi banal et plombant, Guillaume Senez n’en a que plus de mérite : son film est une indéniable réussite.