Marcel L’Herbier est un réalisateur qui, à mon sens, est l’un des plus importants de la première moitié du XXe siècle, tant il a su réalisé des films modernes, audacieux, et vraiment tirés au cordeau, au moins pour ses plus fameux métrages. Ici, il livre une superbe réalisation, à peine handicapé par une histoire parfois un peu plate, et par un petit manque de relief lors de certaines séquences.
Déjà, l’interprétation est presque parfaite. A part un Sessue Hayakawa un peu terne, faisant de la sobriété un quasi-monolithisme, pour le reste c’est difficile de trouver à redire. A côté de l’excellent Louis Jouvet, qui livre une prestation vraiment enthousiasmante, sorte de méchant qui ne se mouille pas et opère dans l’ombre, on dirait une sorte de Méphistophélès, il y a une Lise Delamare impressionnante. J’ai réellement adoré son interprétation, exprimant avec un talent remarquable toute la palette des expressions possibles tant son personnage est balloté d’émotions en sentiments divers. Et quel charme, quelle photogénie, c’est une interprète mémorable. Les seconds rôles ne sont pas en reste avec un Victor Francen convaincant. Il est dans une interprétation un peu plus « à l’ancienne », légèrement théâtrale parfois, dans sa diction ou dans sa gestuelle, mais il est un acteur appréciable et il tient un bon rôle. Non, ma petite critique ira à Hayakawa.
Le scénario est très convaincant. Quelques petites lenteurs peut-être, mais ce sont des détails. L’Herbier signe un métrage passionnant, avec un récit maitrisé, bien découpé mais d’une réelle fluidité. Si certaines scènes manquent un peu de tension, c’est surtout par la prestation très « intérieure » d’Hayakawa. Cela mis à part, Forfaiture est un mélange astucieux entre plusieurs genres, se concluant comme un film de procès, et commençant comme un film d’aventure ! Porté par l’interprétation brillante de Delamare, qui s’enlise sans en avoir totalement conscience dans une situation inextricable, Forfaiture est ambitieux, et parvient à ne pas s’emmêler les pinceaux comme on aurait facilement pu le craindre. En tout cas j’ai eu grand plaisir à le suivre, découvrant une variation passionnante sur les sentiments, et ménageant des scènes d’une belle subtilité.
Sur la forme L’Herbier offre un métrage réussi. L’exotisme ne fait pas toc, grâce à des décors soignés et à un réalisateur qui exploite judicieusement ce qu’il a à sa disposition. Par exemple, les séquences au casino n’ont rien de grandiose a priori. Les décors ne sont pas exceptionnels, mais en ménageant de petits détails (les paniers distribuant les pions), le réalisateur parvient à faire surgir l’exotisme, et la mise en scène est d’une grande intelligence (la séquence majeure du casino est un petit bijou, avec cette agitation, ce plan très serré sur l’actrice, et ce sentiment qu’elle est prise malgré elle dans ce tourbillon qui la force à jouer, entrainer dans ce sabbat sans fin). Il y a vraiment beaucoup de belles idées de réalisation, et L’Herbier magnifie ses acteurs, spécialement Jouvet et Delamare auxquels il s’accroche, jubilant manifestement de l’excellence de leur jeu.
En tout cas, voilà un superbe film, aussi intéressant sur le fond que brillant sur la forme. Pour ma part, si je ne pousse pas jusqu’à la note maximale c’est à cause d’un Hayakawa un peu en-dedans, dont les apparitions très monolithiques pour l’essentiel, et les dialogues plus récités qu’autre chose (ce qui, même si cela peut se comprendre ne donne pas l’effet escompté) affaiblissent certaines des séquences les plus importantes du film. C’est un peu dommage tout de même. 4.5