Du repas amical à la rupture de liens sacrés, Paolo Genovese nous rappelle que la réalité et nos secrets nous talonnent de près. L’ère du numérique bat des ailes et une majorité de la population possède un bijou technologique, qui peut finir par se retourner contre nous-même. L’activité d’un dîner se résume en un partage de souvenirs et d’expériences récentes. On fait également un état des lieux, mais l’accompagnement risque d’être indigeste au menu. Nous avons donc à faire à un scénario convenu, certes, mais à une mise en scène alléchante, où ce sont les personnages qui portent tout le film au plus haut d’un podium de méandres.
Les portables sont devenus les gardiens de nos souvenirs et de nos secrets, mais un jeu va changer la donne. Ces outils viennent rapidement structurer le récit, une fois la bande abreuvée et à point pour délier les langues. Chacun rend donc sa vie cachée transparente, au prix de dialogues sophistiqués et divertissants. À la fois banal et efficace, le discours reste cohérent avec le caractère ou bien les métiers des protagonistes. Mais attention, ce film prend au sérieux ses enjeux et ne tient pas à mettre les spectateurs dans l’embarras, si ce n’est que les faire réfléchir sur le fait de rester honnête avec son entourage. Cela ne reste pas moins une bonne comédie, qui alterne les phases d’euphorie et de tensions, avec une bonne touche de réalisme. On y croit, pas parce qu’on nous le dit, mais parce que la démarche effraie.
Mature jusque dans son squelette, l’intrigue mentionne cette éclipse lunaire qui survole le repas, comme s’il s’agissait d’un feu vert pour pouvoir se dévoiler et qu’on puisse regarder ce qui nous a échapper. Le jeu se poursuit avec un certain zèle, car le cadre, systématiquement en mouvement une fois l’apéro commencé, dynamise le drame qui se dessine. Du point mort au crescendo, les sourires se dissipent et les visages pâles laissent un sentiment de dégoût derrière ce procès inattendu. On en profite alors pour parler des cicatrices d’une société qui a encore peur de la différence. Les stéréotypes sont toujours d’actualité et portent préjudice à ceux qui préfèrent garder le silence. Bien qu’on ne fasse qu’exploiter la surface de ces problématiques, on finit par raisonner de nous-même. Ainsi, le pari est réussi, celui de nous déconnecter d’un univers hypocrite et médiocre, du moins le temps du visionnage. Et cela n’a pas de prix, si l’on détourne les yeux, une fois de plus.
Le metteur en scène italien a bien fait d’opter pour un touché théâtrale. Le huis-clos permet de mieux cerner ces personnages, noyés dans le mensonge ou dans le secret. On met en avant cette addiction à la technologie, qui nous confine à l’intérieur d’une mémoire virtuelle. Notre âme est donc délocalisée, mais elle reste accessible et lisible aux yeux de tous. La confiance est un mot-clé dans cette thérapie démonstrative. Le film assume pleinement ce fait jusqu’au dénouement qui bouleverse l’écriture. Nous aurions beau fuir, les traumatismes finiront par revenir à leur maître et à empoisonner sa vie et celles qui la partagent. Repas bien chaud à l’entrée, mais très froid à la sortie, « Perfetti Sconosciuti » (Parfaits inconnus) est une roulette de la vérité, celle qui blesse toujours et qui met en garde.