Marie Castille Mention-Schaar nous offre « Le ciel attendra » pour qu’on touche du doigt quelque chose qui heurte tellement nos convictions profondes qu’on refuse même d’essayer de le comprendre. Avec son film, elle nous met le nez dedans et osons le dire, c’est salutaire. Mais avant de parler du fond, je veux souligner combien ce film est intéressant aussi dans sa forme et notamment dans son montage. Dans sa première moitié, le film semble alterner entre trois histoires, celle de Sonia, celle de Mélanie et celle de Sylvie, mère dévastée et seule qui cherche à comprendre l’incompréhensible. Cette femme, magnifiquement incarnée par une Clotilde Courau parfaite, à la fois digne et bouleversante, on ne comprend pas d’emblée qui elle est. Et puis, vers le milieu du film, les pièces se mettent en place comme un puzzle. On se rend compte que
Marie-Castille Mention-Schaar joue un peu avec la temporalité de ces deux histoires, qu’il y a des flash back et des flash forward qu’on n’avait pas pris comme tel au début.
Parfois, pour éclairer la question et recentrer son propos, elle propose des scènes où Dounia Bouzar, dans son propre rôle, anime des ateliers avec des jeunes femmes en voie de déradicalisation ou des parents désemparés (le mot est faible). Cela donne un petit côté documentaire à son film, ce qui m’apparait une idée intéressante compte tenu de notre ignorance à tous de cette question. Certaines scènes se terminent par des écrans noirs qui durent un peu, cela permet au spectateur de « digérer » un peu ce qu’il vient de voir ou d’entendre. Si on ajoute à cela une musique intelligemment placée, une belle affiche et un très beau titre, on se rend compte qu’indépendamment du fond, « Le ciel attendra » est d’abord un film de cinéma réussi. Le casting est impeccable, que les rôles soient étoffés (Clotilde Coureau, Sandrine Bonnaire, et évidemment les jeunes Noémie Merlant et Naomie Amarger) ou plus effacés (Yvan Attal ou Zinédine Soualem), ils sont incarnés avec une force et une sensibilité totale. Je suis impressionnée par l’ensemble d’un casting visiblement très attaché à servir des rôles difficiles, des rôles qui les obligent tous à puiser au fond de leur sensibilité pour incarner des adolescentes perdues ou des parents qui ne le sont pas moins. Sur le fond, le film est bouleversant et nous oblige à regarder en face une réalité ô combien difficile. Le processus de radicalisation de la jeune Mélanie s’apparente au début à de la drague par internet puis par un lavage de cerveau progressif et pernicieux qui n’a rien à envier aux mouvements sectaires. L’adolescente, qui cherche sa place dans la société comme toutes les adolescentes occidentales, trouve dans le discours de ce fameux Mehdi (dont on ne sait même pas s’il existe vraiment en tant que tel) une exaltation propre à son âge, et elle tombe amoureuse comme on tombe amoureuse à son âge, c'est-à-dire éperdument. A l’insu d’une mère qui évidemment ne se doute de rien, elle bascule, se coupe de ses amies, néglige tout jusqu’à n’avoir en tête qu’une chose : le départ en Syrie et la quête d’absolu que cela représente à ses yeux. Présenté ainsi, on peut penser qu’aujourd’hui des adolescentes partent en Syrie, hier elles partaient suivre des mouvements altermondialistes (dont le discours est très semblable, d’ailleurs !), avant-hier elles partaient vivre en communauté en Ardèche et avant-avant-hier, elles partaient faire la Révolution ! La nuance, le recul, l’analyse critique, tout cela venant avec l’âge et la maturité, elles sont à l’adolescence la cible idéal de tous les idéaux, même des plus radicaux et mortifères. Cela n’excuse rien, mais chercher à comprendre n’est pas « déjà excuser un peu ». On ne peut pas combattre ce qu’on ne comprend pas ! Parallèlement, l’histoire de Sonia est l’histoire d’une déradicalisation qui ressemble pour le coup étrangement à un sevrage ! Le discours complètement surréaliste et quasi hystérique qu’elle tient plonge ses parents et le spectateur dans un curieux mélange de stupeur et de malaise. Ce discours est tellement fou, improbable, presque délirant qu’on pourrait presque en sourire, si ça n’était pas si tragique. La déradicalisation est un sujet quasi tabou en France où peu de gens y croient (ou refuse d’y croire, plutôt). Le film tend à prouver que ce qui est possible dans un sens l’est aussi dans l’autre sauf que c’est bien plus long et laborieux, et douloureux, et aussi, reconnaissons le, incertain. Certains critiques estiment que le film de Marie-Castille Mention-Schaar se fourvoie en montrant la radicalisation de deux filles bien « blanches », pour eux, « Le ciel attendra » manque de garçons et surtout de garçons des cités, le film va peut-être un peu trop à l’encontre de leur préjugés. Je trouve au contraire qu’en s’attachant au destin de deux filles « à priori » sans histoire, elle ne fait pas preuve de lâcheté ou de politiquement correct, elle s’attache au contraire à démontrer que nul n’est à l’abri, elle prend à mon sens le problème par le bout le plus difficile. Mais j’imagine que c’est aussi une question de point de vue ! Quoi qu’il en soit, « Le ciel attendra » est un film qui vous colle à la peau au sortir de la salle, il ne peut laisser indifférent : à mon sens, pour peu qu’on veuille chercher à comprendre ce qui se passe en France en 2016, il fait mouche !