Une octogénaire, Agnès Varda, et un trentenaire, JR, se rencontrent... sur le terrain artistique, et partagent un même projet, d'abord vague: partir sur les routes de France à bord d'une camionnette Photomaton en quête de visages et de villages. Au cours de leur travail commun, ils apprennent à se connaître, à s'apprivoiser, à s'apprécier. Le voyage part dans tous les sens, et le montage, dirigé par Agnès Varda, reproduit cette impression de digressions hasardeuses.
Pourtant, le film, entre son début chaotique et sa fin terrible et émouvante, délivre quelques propos essentiels. Il y est question de la vraie grandeur des "petites gens": JR les photographie et colle des tirages gigantesques sur des supports aussi imprévisibles que des murs de maisons promises à la destruction, des containers sur le port du Havre, un blockhaus allemand échoué sur une plage normande...
Il y est question de pudeur aussi: nous ne saurons jamais rien de la vie privée de JR, qu'il dissimule comme son regard derrière des lunettes noires ou le sommet de son crâne sous un chapeau. Mais ce masque qui figure son personnage public n'est-il pas le pendant de la coiffure excentrique de sa "vieille" et "petite" complice qui, elle aussi, joue un rôle? Celle-ci, cependant, expose ses yeux malades, ses pieds, ses larmes de chagrin nostalgique, et son amour pour Jacques Demy.
Il y est question de jeu et d'imagination: les artistes n'en manquent évidemment pas, mais ils trouvent des partenaires de choix auprès d'un facteur, d'un paysan, de femmes de dockers... Les entretiens avec ces gens de rencontre ne sont jamais inquisitoriaux, et peuvent révéler la détresse, comme celle de l'ouvrier qui, à la veille même de son départ à la retraite, a l'impression de sauter dans le vide du haut d'une falaise...
Il y est question d'amitié et d'un geste aussi simple qu'une main dans le dos de la personne qui souffre.
Il y est question de l'art, à la fois capable de faire renaître le passé et pourtant éphémère, avec cette immense photo, amoureusement choisie que la marée emportera...
Il y est question d'un grand cinéaste, incapable d'accueillir sa vieille compagne et qui lui fait du mal, à en pleurer, mais à qui elle n'en veut pas même s'il n'est qu'"une peau de chien"...
Le film, en fait, ne pose pas ces questions: il présente des évidences; il apaise, il fait souvent rire des chamailleries des deux personnages réels devenus des personnages de fiction (le grand et la petite), il rafraîchit, il donne envie de vivre malgré les défaillances physiques, les chagrins. Il donne confiance dans les hommes et les femmes, dans leurs luttes pour vivre, dans leur intelligence.