Dans sa forme agressive, frontale, âpre, le film cherche clairement à nous prendre par le colbac pour nous mettre le nez dans son sujet. On assiste à la projection comme à un passage à tabac lors d'une garde à vue qui tourne mal. "Tu vois ce que c'est le Sida, hein tu le vois ! Tu vois comment des milliers de gens sont morts depuis trente ans et tu n'as rien fait!" On a envie de répondre "oui monsieur mais j'y suis pour rien moi." "Maintenant tu y seras pour quelque chose !" nous répond le film, à chacune de ses images. Avec ce film, comme avec La vie d'Adèle, ou d'autres titres qui m'échappent (Les nuits fauves ?) nous assistons à un cinéma qui se revendique par la force d'un sujet à contenu sociétal (mais jamais social) cherchant l'électrochoc des consciences tranquilles, cependant sous sa fine couche d'impertinence se dissimule un film profondément ringard, poussiéreux, et d'arrière-garde. Ce film est un exemple de ce que des gens comme Truffaut, Chabrol et Godard avaient dénoncé autrefois "on ne fait pas de grands films en traitants de grands sujets" entre les pages, me semble-t'il, d'une revue en son temps vraiment impertinente, qui s'appelait Les Cahiers du cinéma. Revue qui est aujourd'hui l'antithèse de ce qu'elle défendait à l'époque, lorsqu'elle louange ce pensum ingrat déroulé comme un bréviaire indélicat. Un grand sujet peut également accoucher d'un grand film, dès l'instant où il s'intéresse à des problèmes humains. Hors ce film nous prend en otage pour nous parler des difficultés à vivre d'une communauté homosexuelle atteinte par le VIH. On a envie de répondre "Et alors ? Il y a aussi des malades atteints de sclérose en plaque, de myopathie, de la maladie de Charcot, d'Alzheimer, du cancer de la moelle osseuse et que sais-je encore ? Des maladies pour lesquelles la médecine reste impuissante, mais espérons que la recherche avancera un jour." La raison d'être d'un film comme celui-ci est en réalité bien plus tordue qu'elle n'y parait. Il s'agit de nous forcer à adhérer à une religion : celle du Sida, comme il existe une religion du 11 Septembre, une religion de la Shoah, une religion du gaullisme, une religion du D.Day, une religion du Mitterrandisme, une religion de la religion. Nous vivons dans une époque où le cinéma se fait le relais des religions, lesquelles se substituent au politique, et au social. On peut en inventer à l'infini des religions, et le cinéma sera là pour les promouvoir avec tambours et trompettes.
Par ailleurs, j'ai eu aussi le sentiment, en regardant le film, d'avoir fait un voyage de trente ans en arrière, et d'assister à un film-réflexe, tourné sur le vif, un peu comme Les nuits fauves, exemple de film dont on se rend compte aujourd'hui à quel point il s'intéressait moins à l'humain qu'à quelques humains autoproclamés "représentants d'une génération". Personnellement je pensais qu'ACT-UP n'existait plus tant sa couverture médiatique s'est réduite en l'espace de 20 ans. Une chose est sûre, c'est que le Sida ne concerne plus la jeunesse comme il la concernait dans les années 80. On a désormais du recul, la phobie de la maladie n'est plus aussi prégnante qu'autrefois, et la sexualité chez les jeunes et les moins jeunes, est en train de se libérer de ce carcan totalitaire, et c'est tant mieux. Elle est peut-être là la raison d'être de ce film, à mon goût injustifiable.