Le film de Robin Campillo est à l’image de son sujet, et comment aurait-il pu en être autrement ? C'est-à-dire que « 120 battements par minute » est un film sans concession, que l’on reçoit comme la société française recevait les action d’Act Up dans les années 90, comme un coup de poing qui frappe fort, très fort et pile là où il faut pour faire un maximum d’effet. Techniquement d’abord, même s’il dure 2h20 et qu’objectivement c’est long, Robin Campillo trouve assez vite le bon rythme. En soignant ses transitions (des séquences musicales viennent « couper » le film à plusieurs reprises), en réalisant aussi de très belles scènes oniriques (la poussière, le virus en gros plan), il parvient à équilibrer son film alors qu’au départ, ce n’était pas gagné. « 120 battements par minute » n’est pas une succession de d’opération coups de poing et de scène de débats politiques, même s’il y en a beaucoup et c’est légitime. Le film n’est pas un simple catalogue des faits d’arme d’Act Up Paris et c’est heureux. Les scènes d’action, spectaculaires, succèdent aux scènes plus intimistes, voire très intimistes, et elles aussi s’alternent avec les scènes de débat au sein des réunions hebdomadaires, les fameuses « RH ». Campillo dose son film intelligemment pour que les 2h20 passent bien. Sauf qu’émotionnellement, 2h20 c’est difficile pour le spectateur pris à la gorge, c’est presque douloureux, et je pèse mes mots. Du coup, je me dois honnêtement de le dire, j’ai été soulagée de voir arriver le générique de fin, littéralement lessivée que j’étais ! « 120 battements par minute » n’est pas un film tout public, c’est une évidence que de le dire mais je le dis quand même, et pas seulement parce qu’on y voit deux hommes faire l’amour à plusieurs reprises et longuement. Il faut avoir le courage de regarder une agonie à l’écran, filmée sans fard et là encore dans toute sa longue horreur, et ce n’est clairement pas facile, croyez-moi. La musique (techno évidemment) est très présente et je retiens surtout la façon merveilleuse dont « Smalltown Boy » est mis en valeur. J’aimais déjà beaucoup ce titre des années 80, emblématique du mouvement gay, et je pense qu’à l’avenir j’aurais le cœur très serré quand je l’entendrais ! Concernant le casting, il serait assez malvenu de distribuer des bons point ou des mauvais points tant on sent que les acteurs connus (Adèle Haenel en tête) ou moins connus se sont attaqués à leur rôle la rage au ventre et la bave aux lèvres. Ca transpire dans toutes les scènes, cette hargne à incarner des combattants. Haenel, et c’est tout à son honneur étant donné qu’elle est la nouvelle coqueluche du cinéma français, ne tire absolument pas la couverture à elle. Je vais quand même faire une mention spéciale à Nahuel Perez Biscayart, qui interprète Sean, et qui donne à son rôle une intensité telle qu’on se dit qu’il a du sortir du tournage aussi lessivé que moi je suis sorti de la salle de cinéma ! On reverra très vite Nahuel dans le très prometteur film d’Albert Dupontel « Au Revoir Là-Haut », et j’en frissonne d’avance ! Le scénario de « 120 battements par minutes », c’est la rencontre entre Nathan et Sean au sein d’Act Up, c’est l’histoire de ce couple « à trois » avec la maladie, c’est une histoire d’amour et de mort. C’est leur histoire qui déchire le cœur, parce que d’emblée leur amour est condamnée à mort et qu’ils s’aiment quand même, en se protégeant physiquement mais sans aucune protection émotionnelle. L’agonie interminable de Sean, la présence de Nathan à son chevet, c’est un hommage cinématographique à tous ces couples qui ont traversé cette épreuve abominable depuis 30 ans et souvent dans l’indifférence générale, quand ce n’était pas dans l’hostilité sociale et familiale. Et puis, mourir du SIDA c’est moche, c’est très moche, c’est douloureux, c’est une mort tout sauf sereine. Alors la montrer à l’écran dans toute son horreur, c’est courageux, surtout quand on sait que le SIDA tue toujours, moins c’est vrai, mais il tue toujours. A côté de l’histoire de Nathan et Sean, il y a Act Up Paris, ses actions coups de poing et ses débats démocratiques. Concernant les coups médiatiques, je suis un peu surprise de ne pas y voir évoquer (autrement qu’en parole) la plus célèbre d’entre elle : la capote géante sur l’Obélisque ! Un coup de maître médiatiquement et aussi une prouesse logistique ! Les scènes les plus intéressantes à mes yeux sont les scènes de RH, les scènes de débats où les opinions s’affrontent, les rancœurs s’expriment aussi, et l’on se rend bien compte qu’à Act Up comme partout ailleurs, c’est difficile de déterminer une ligne de conduite et de s’y tenir, de trouver un consensus (surtout pour un mouvement qui cherchait à l’extérieur tout sauf le consensus !). « 120 battements par minute » est un film fort, très fort, trop peut-être parfois. Vers la fin, j’ai eu l’impression que Campillo m’avait pris au piège et tenait absolument à me faire pleurer (ça faisait bien longtemps que je n’avais pas pleuré comme ça au cinéma !) et c’était un peu difficile et éprouvant. Mais le sujet, son importance, sa force ne supporte peut-être pas la demi-mesure. « 120 battements par minute » à voulu frapper fort comme Act Up frappait fort, c’est finalement assez logique et recevable.