Chaque année à Cannes, un film crée l'évènement et provoque la surprise générale. Il y a deux ans, ce fut le terrible ''Fils de Saul'' (Làszlo Nemes) et il y a un an, la comédie allemande ''Toni Erdmann'' (Maren Ade) qui marquèrent les esprits. Cette année, il est évident que ''120 battements par minute'' a été Le film de Cannes. Réalisé par Robin Campillo, il reçut le Grand Prix, éclipsant au passage la Palme d'or. Si le film est indéniablement une réussite, on peut se demander (comme pour ''Toni Erdmann'' d'ailleurs) s'il mérite ce raz de marée d'éloges.
L'action se déroule en France, au début des années 90. Le sida est apparu depuis une dizaine d'années, pourtant les gens ne semblent pas prendre conscience de l'ampleur du danger ; les hétérosexuels croient encore que seuls les homosexuels sont touchés par le virus. Act'up est une association luttant contre le Sida et, plus encore, contre le silence qui est fait autour de cette dangereuse maladie. Réunions, campagnes, manifestations scandent le film, en même temps que Nathan, un nouveau membre en pleine santé d'Act' up tombe amoureux de Sean, un autre membre séropositif de cette association.
Au cinéma, comme dans bien d'autres arts, on assiste à une véritable bataille éternelle : celle du bien contre le mal. Dans ''120 battements par minute'', c'est à une autre bataille que nous sommes conviés : celle de la vie contre la mort. En fait de bataille, la vie et la mort sont les deux thèmes majeurs du film. C'est pourquoi la mise en scène de Campillo est pleine de contrastes. Les scènes intenses de réunion d'Act'up vont de pair avec les scènes de boîtes de nuit ou les scènes de manif dans les rues. En ce qui concerne ces dernières, on remarquera d'ailleurs que Campillo a particulièrement soigné la ''brillance'' de ces scènes. Qu'on pense à cette séquence où les protagonistes dansent et où Campillo finit par filmer un rayon de lumière bleu et ses particules ; ou cette séquence de manifestation où tombe des paillettes lumineuses. Parfois, le film est véritablement lumineux, malgré son sujet et, souvent, le film est énergique. Il a une autenthique pugnacité : voir la scène de l'attaque du laboratoire pharmaceutique. Energique, mais aussi bavard. En effet, la parole est là fondamentale. Comme il est dit dans le film : le silence, se taire, c'est mourir. En participant à Act'up, les séropositifs, tout en abordant des sujets mortifères s'éloignent d'une certaine manière de la mort. Car la mort est aussi omniprésente. Via le sida, elle commence à ravager les homosexuels d'abord. Mais la maladie finit par toucher tout le monde : les homos, les hétéros, les proches devant subir la mort de ceux qu'ils connaissent. De nouveau, Campillo incarne cet esprit mortifère à l'aide et à travers sa réalisation. Lors de l'agonie d'un des personnages, la force de la mise en scène et son urgence disparaissent au profit d'une austérité nécessaire. Les lumières sont cette fois-ci tamisées et le temps soudain, semble se figer. Tout cela au profit d'une lenteur qui tranche, donc, avec une certaine vitesse qu'avait adopté le film. La vraie force du film est d'échapper, parfois, au film bêtement engagé auquel on pouvait s'attendre. Campillo refuse de filmer les membres d'Act'up dans un perpétuel combat (avec raison : le film aurait été dans ce cas, très lourd). Car le perpétuel combat n'existe pas. D'où l'importance des séquences en boites de nuit, de la romance entre Sean et Nathan et de l'agonie d'un des protagonistes. Et d'où aussi le choix crucial et original d'incorporer au film des images oniriques qui permettent à ''120 battements par minute'' d'échapper, une nouvelle fois, au film social. On pense surtout à ce plan, hallucinant, de la Seine rouge sang.
Pour autant, tout cela fait-il de ''120 battements par minute'' le chef-d'oeuvre annoncé ? Pas vraiment, juste un très bon film. La faute à deux défauts. Le premier semble être propre à Campillo : à savoir les longueurs. Déjà, dans Eastern Boys (2013), certaines scènes s'étiraient comme du chewing-gum (notamment celles du début). Même chose pour ''120 battements pour minute'' où, si le noyau de chaque scène est à chaque fois très beau, ce qui l'entoure est souvent un peu long. On comprend que Robin Campillo est voulu faire durer chaque scène : cela permet d'apporter au film une indiscutable dimension sociale (et, disons-le historique) Ainsi, l'oeuvre, en acquérant le statut de fresque sociétale esquive habilement le film dossier bien efficace et bien lourdaud dans lequel elle aurait pu tomber. Mais justement, un autre problème surgit, localisable dans l'aspect titanesque du film. Les plus grandes fresques sont celles qui englobent un nombre conséquent de point de vue (par rapport aux personnages). Or, et cela finit un peu par frustrer dans ''120 battements par minute'', il n'y a qu'un seul point de vue : celui des membres d'Act'up. Comme si ces derniers avaient été les seuls à lutter et à être touchés par le sida. De même, les rares membres des centres médicaux présent dans le film sont tous vus sous un mauvais jour (et atteignent ce qu'il fallait éviter dans ce genre de film, c'est-à-dire le rôle manichéen de méchant). Ce manque de variété des points de vue nuit quand même au film.
En prenant la dimension de fresque social et historique, le film de Campillo évite donc la pesanteur du film dossier. Trop long, le film l'est ; manichéein, le film l'est pas mal. Mais difficile d'attaquer le geste artistique et politique de Campillo, et encore moins sa qualité de réalisation (non dénuée d'humour, en plus). Un très bon film, à voir.