On rembobine. En 2016, le projet Suicide Squad chaperonné par le très urbain David Ayer se gaufre lamentablement sur l'autel de la noirceur en contreplaqué avec son script en toc. Monstre de Frankenstein s'il en est, le film fut surtout l'énième preuve d'une gestion calamiteuse de la part de Warner Studios. Pour comble de tout, le résultat final et les retours catastrophiques ont même réussi à faire oublier son succès en salles (presque 800 millions de dollars amassés). Comment lancer une suite après cette victoire à la Pyrrhus ? Contre toute attente, c'est le concurrent Disney qui va trouver la solution en virant James Gunn, réalisateur adoré des Gardiens de la Galaxie 1 & 2. Ni une ni deux, Warner récupère le cinéaste au rebond et lui laisse carte blanche pour faire oublier l'ignoble prédécesseur. Une mission que Gunn accepte sans hésiter. Une mission qu'il va réussir avec son panache coutumier.
Dix minutes, c'est tout ce qu'il lui faut pour effacer le vilain souvenir du Suicide Squad originel. Le temps d'une intro qui rappelle l'entrain du metteur en scène pour les univers conjuguant violence et fantaisie (l'expérience Troma Entertainement, maison mère des nanars bien trash et assumés). Ça explose, ça saigne, ça fait rire et ça choque. Vous êtes chez James Gunn.
Tout est dans le titre.The Suicide Squad. Certes, on retrouve pas mal de têtes connues, mais le message est clair : cette fois, c'est la vraie. D'ailleurs, le film ne cherche jamais à raccorder avec celui d'Ayer. Allez, une ou deux allusions pour la blague et basta. Pour enfoncer le clou, comparons les personnages de Deadshoot et Bloodsport. Pas le même nom mais la même passion. En gros, le même personnage mais bien mieux écrit. Par ce simple tour de passe-passe, Idris Elba balaye Will Smith en deux-trois mouvements, juste le temps d'imposer son caractère d'ours mal léché et son charisme au delà du réel. Pourtant, l'acteur britannique et la revenante Margot Robbie (excellente, une fois de plus), ne sont pas les seuls à se régaler. Joel Kinnaman (Rick Flag) revient pour un tour de piste, force est de constater qu'on lui permet enfin de se lâcher un peu. Il aura même les honneurs d'une des séquences les plus fortes que le DCEU ait offert en 8 ans d'existence. John Cena s'amuse comme un gosse et propose un joli numéro entre autodérision et rigorisme. Niveau humour, le discret mais terriblement drôle David Dastmalchian offre de beaux moments avec Polka Dot-Man, lanceur de pastilles en pleine névrose maternelle. Quant à King Shark (avec la voix de Sylvester Stallone), il vient rappeler que les créatures numériques bien pensées savent faire rire et disséminer un peu de lyrisme. Mais la révélation de The Suicide Squad reste pour moi Daniela Melchior qui amène énormément d'émotions au milieu du spectacle, sans jamais s'égarer vers le pathos.
Chez James Gunn, caractériser et mettre en valeur ses protagonistes, c'est le secret pour transcender la base, qu'il dirige un film indé ou une grosse production. Pas de posture en bad guys factice qui tienne, son univers se compose d'inadaptés et de sociopathes aux troubles identifiés, qu'ils soient d'ordre pratique ou psychologique. Loin d'être cantonnés à un bruit de fond, les passifs et tempéraments de chacun se répercuteront sur les évènements et trouveront leurs résolutions, aussi diverses soient-elles. Mais derrière tout cela, Gunn est aussi un metteur en scène friand d'expérimentations. Il n'oublie jamais sa source, les comics et sa scénographie en tire même sa force. Chaque scène d'action est construite de manière à ce que la caméra puisse s'amuser avec le décor, je pense à ce concours du "qui tuera le plus?" entre Bloodsport et Peacemaker. Le long-métrage additionne les procédés picturaux, avec ses intertitres mêlés aux environnements, lors d'un flashback raconté au travers de vitres dont l'encadrement rappelle la forme des cases, ou avec cette chute sur plusieurs étages, gag purement visuel. Même l'escapade meurtrière de Harley Quinn transpire cet amour du mouvement et de la couleur (avec un petit hommage à *Kingsman*, il me semble). **D'ailleurs, chaque scène d'action est construite de manière à ce que la caméra puisse s'amuser avec les environnements**, je pense à ce concours du "qui tuera le plus?" entre Bloodsport et Peacemaker. Ne parlons même pas du bon gros méchant...Bref, *The Suicide Squad* est un film de son auteur en cela qu'il s'approprie un matériau de départ et fait communier moult registres sans jamais qu'ils se fassent concurrence.
On l'attendait pour 2016 mais il aura fallu attendre 2021 pour le voir enfin, ce satané projet qui devait dynamiter l'écurie DC. Il est tel qu'on l'imaginait à l'époque, Les Gardiens de la Galaxie version trash. C'était également l'idée de Warner apparemment, puisqu'elle s'est évertuée à en fourrer des bouts dans le film de David Ayer. Sauf qu'un film ne se conçoit pas à partir d'algorithmes ou de pièces détachées. Il faut d'abord un œil, un style et beaucoup d'idées. Tout ce que James Gunn a en réserve. Mieux vaut tard que jamais. Alors pourvu que The Suicide Squad soit un nouveau point de départ.