François Miron explique pourquoi il a voulu faire un documentaire sur Paul Sharits, l'un des grands maîtres du cinéma expérimental avec Jordan Belson, Stan Brakhage et John Whitney : "C'est à cause de Paul Sharits que je fais des films. J'ai vu une projection de Razor Blades à New York lorsque j'étais jeune adolescent, avant même que je sois entré dans une école de cinéma, et j ’ai été subjugué. Je ne savais pas qu'un tel type de cinéma existait. Je ne savais pas que des personnes pouvaient créer un tel art perceptif."
Le réalisateur François Miron avait discuté avec Paul Sharits au téléphone en 1985 dans le cadre d'une interview pour un projet lié à ses études. Les deux hommes ont principalement parlé du psychédélisme, de la perception et de la couleur. Miron se rappelle :
"Sharits m ’a ensuite recommandé de lire Le Cerveau vivant de William Grey Walter, et en particulier le "tristement célèbre" chapitre intitulé "Revelation by Flicker". Il m ’a aussi fait part de ses référents en terme de films, de peinture, de sculpture et d"architecture. Il est également venu en visite officieuse à la School of the Art Institute of Chicago en 1988 — à moins que ce ne soit en 1989 — alors que je finissais mon master. Je lui ai montré mes courts métrages et il m’a dit les avoir appréciés. J'ai même évoqué à cette époque la possibilité de faire un documentaire sur lui, mais, hélas !, il est décédé en 1993."
François Miron et son équipe ont commencé à faire des recherches sur Paul Sharits en 2008. Les interviews ont été effectuées au gré de la disponibilité des personnes qu'il souhaitait interroger. La recherche des archives, des dessins et des films amateurs a pris beaucoup de temps car Miron tenait absolument à pouvoir avoir accès à des éléments totalement inédits. Le cinéaste poursuit :
"Ensuite je suis tombé gravement malade juste avant de commencer le montage du film alors que nous avions des heures et des heures d'images à dérusher. Lorsque je pouvais travailler sur le film, le matériau que nous avions nous poussait aussi à faire des compléments d'interviews. Du coup, comme j'ai dû m'interrompre souvent en raison de mon état de santé, le processus a été très long."
François Miron explique à quel point il se sent proche de Paul Sharits : "Il a été professeur, comme moi. C'est un cinéaste expérimental, comme moi. J’ai pu lire toute la correspondance qu’il a échangée avec Stan Brakhage pendant 20 ans, et les sujets qu'ils évoquent auraient pu faire l'objet de textes de ma part. Que ce soit les batailles contre la maladie, contre des gens corrompus dans son entourage... Je ne suis pas bipolaire comme lui, ou comme l'était Chantal Akerman. Mais j ’ai aussi un sacré fardeau à porter côté maladies infernales."
Lorsque le projet en était à ses débuts, François Miron souhaitait faire un portrait resserré sur le travail de Paul Sharits sous la forme d'un court métrage. Le metteur en scène s'est alors rapidement aperçu qu'un temps aussi court ne permettrait pas de couvrir son art, ses relations et sa biographie. Il développe : "J'avais plusieurs structures de montage possibles en tête, mais comme je recevais en permanence de nouvelles archives, elle ne cessait de changer. Le résultat final ressemble à ce que j'avais imaginé pour partie et en diffère radicalement pour le reste."
Le film comprend une liste impressionnante de personnes interviewées. François Miron a ainsi pu interroger toutes les personnes qu'il voulait, y compris ceux à qui il pensait ne jamais pouvoir accéder. "Je n'ai juste pas inclus les entretiens avec Michael Snow. Pas pour des raisons de contenu, mais pour des raisons personnelles. Et cela n'a rien à voir avec son travail que j'adore ou lui-même. Lorsque le film a été terminé, d'anciens assistants, étudiants et amis de Sharits se sont soudain manifestés. J'aurais aimé qu'ils se présentent avant. Mais avec ce type de projets, plus on accumule du matériau, plus le film final s'éloigne, vous savez."