L’Histoire est bien connue, son issue également. Tout l’intérêt du film de Chris Weitz est ailleurs. « Opération Finale » souffre dans sa forme de quelques petits défauts mineurs, comme un titre sans aucun intérêt, une affiche qui se veut surement un hommage à Ben Kingley mais qui donne surtout l’impression désagréable de mettre Adolf Eichmann en vedette et quelques petites scories de mises en scène dont on aurait pu se passer. J’entends par là caser quelques scènes de faux suspens pendant l’enlèvement et surtout à l’aéroport. Je ne suis pas certaine que c’était nécessaire. D’un point de vue cinéma cela se justifie surement (encore qu’on a sur la fin la nette impression de revoir « Argo » !), mais d’un point de vue disons… moral, je trouve cela à la limite du malvenu. Quelques petites longueurs, une histoire d’amour en filigrane qui n’apporte pas grand-chose, Chris Weitz fait de son mieux, il tente de présenter un film sobre, instructif, forcément très chargé en émotion tout en restant suffisamment rythmé pour tenir la distance. Le pari n’était pas évident, c’est certain. En revanche, je souligne que les quelques flash back et la scène finale (sorte de rencontre un peu étrange dans le temps et l’espace entre Tel Aviv 1961/Lublin 1943) sont plutôt réussis et pudiques, sans succomber à une surenchère qui là, pour le coup, aurait été très préjudiciable au film. Mais je ne veux pas être trop dure avec Chris Weitz, un film comme celui là est une sorte de corde raide, et s’il tangue un peu par moment, le film reste malgré sur la corde, on ne décroche pas malgré quelques longueurs, on touche du doigt l’importance historique de ce qui se joue à l’écran, et la reconstitution de l’Argentine des années 60 est soignée. Avec un casting assez important, mais des seconds rôles insuffisamment mis en valeur, « Opération Finale » est surtout l’occasion d’un duel Oscar Isaak/Ben Kingsley. Isaak incarne un agent du Mossad, Peter Malkin, hanté par la mort ignoble de sa sœur et ses neveux pendant la Guerre, qui tente de nouer une relation avec son prisonnier
pour lui faire signer un document (point sur lequel on reviendra).
Il le nourrit, il lui parle, l’écoute tout en faisant taire tant bien que mal l’envie irrépressible qu’il ressent de lui mettre une balle dans la tête. On va dire qu’Isaak se sort assez bien de ce duel car en face, il a un Ben Kingsley qui n’est pas n’importe qui. L’Eichmann qu’il incarne est volontairement très ambigu. Il met très mal à l’aise de sa première apparition à l’écran jusqu’à la toute dernière. Il est poli, obéissant, il tente de se justifier, de s’expliquer, de minimiser son rôle, il louvoie, il embobine, tel un serpent venimeux qui vous tourne auteur en cherchant où et quand vous mordre. La vraie réussite de ce film, c’est Kingsley.
Dans un rôle ultra difficile et ô combien risqué, il fait parler son talent. Le nazi qui sommeille (d’un sommeil très léger) en Eichmann ne se réveillera qu’à une seule occasion, sans que l’on sache s’il exprime alors le fond de sa pensée ignominieuse, où s’il joue la provocation pour faire craquer Peter Malkin
. Le scénario du film laisse une impression un peu mitigée. Il n’est pas très clair sur deux points, d’abord les raisons qui font que le Mossad éconduit sèchement, dans un premier temps, le procureur allemand Fritz Bauer qui leur donne l’info sur le fugitif.
L’explication qui lui est faite selon laquelle l’urgence est à la guerre contre les arabes et que la traque des anciens nazis, c’est du passé, elle est un peu courte en 1960 !
Si c’est le fait que c’est un allemand qui les met sur la piste et que ça les dérange, cela aurait pu (et du) être plus clair.
Ensuite, second point, l’importance de ce fameux papier : je n’ai toujours pas compris pourquoi Eichmann devait signer cette « autorisation de transfert » puisque de toute façon l’exfiltration aérienne et clandestine était inévitable. Le souci, c’est qu’une grande partie du film repose sur ce bout de papier et du marchandage pour le faire signer. Quelque chose à du m’échapper…
Et puis, le scénario montre des anciens nazis réfugiés particulièrement exaltés, fort peu discrets, presque prêt à sortir du bois et à prendre le pouvoir en Argentine, et je ne sais pas si sur ce point le film n’est pas allé un peu loin. Le régime argentin des années 60 était un état policier, l’influence du péronisme était forte, le cocon était idéal pour les nostalgiques du IIIème Reich, et je trouve dommage que le film ne l’évoque pas davantage au lieu de nous présenter des anciens nazis éructant des abominations en tendant le bras frénétiquement. Cela aurait été moins spectaculaire, mais bien plus pertinent d’un point de vue historique. Sur l’enlèvement et l’exfiltration proprement dite, le film tient la route. Il montre comment une opération de ce type a été montée par le Mossad, comment même les scénarii les mieux préparés peuvent vriller à cause d’un détail (une paire de lunette par exemple), combien il faut de complicités (ici avec la communauté juive d’Argentine, qui je ne savais pas si grande), de petites mains, pour réussir. Le scénario montre assez bien les enjeux judiciaires et historiques du procès Eichmann, qui justifient toute l’opération. A l’intérieur du commando, il y a plusieurs sensibilités, il y a ceux qui ne comprennent pas pourquoi on ne lui colle par une balle avant de filer, les convaincre de le garder en vie pour le juger n’est pas forcément aisé et audible par tout le monde. En 1960, tout le monde en Israël est endeuillé par la Shoah, c’est pour cela que la tentation de la loi du talion est grande, et c’est aussi pour cela qu’on comprend mal la réponse faite à Fritz Bauer au début du film. « Opération Finale » laisse une impression partagée : le film nous a accroché mais on n’a pas tout compris, on a le sentiment que malgré toutes les bonnes intentions de départ, il est passé un tout petit peu à coté de son sujet. L’histoire de l’enlèvement est historiquement passionnante, le contexte politique est compliqué, les enjeux sont grands et ne sont pas à hauteur d’homme, tout cela était peu être un peu trop lourd pour Chris Weitz, son scénariste et ses acteurs.