H comme « hostile » comme haine. Voilà bien longtemps qu’un western ne m’avait pas à ce point conquis. Cela remonte à 1991 avec « Danse avec les loups » et un peu plus tard « Unforgiven » de Clint Eastwood. « Hostiles » comme les deux précédents cités se particularise plus par ses personnages que par son intrigue. Car à bien y regarder, le scénario brut de « Hostiles » est très classique : des soldats de l’Union ont pour mission d’escorter un chef indien accompagné de quatre membres de sa famille pour rejoindre ses terres où il désire mourir en paix de son cancer. Point barre. Un western road movie où l’on aurait pu semer des péripéties pour préserver l’éveil du spectateur. Sachant en plus que le responsable de cette mission, Joe Bloker, a une haine féroce envers les amérindiens, on aurait pu ainsi l’imaginer saboter sa mission en harcelant, menaçant continuellement le chef indien et sa petite famille. Rien. Le film est purement axé sur l’émotion. Et l’émotion prend sa source dans la nature humaine. Ce western va sortir des sentiers battus pour rejoindre un sentier très peu fréquenté comme « Danse avec les loups » ou « Unforgiven » : celui de l’introspection. L’intrigue n’est que la matière première qui va permettre de façonner le récit. Il n'est question que de nature humaine. Celle-ci se réalise avec le temps. Si d’aucuns reprochent certaines longueurs, elles sont pourtant essentielles, indispensables pour réparer ou soigner l’âme humaine ; celle endeuillée, celle rongée par la haine. Il faut du temps pour digérer un deuil, pour accepter l’idée d’envisager de sortir de ses schémas de pensées, pour reconsidérer ses certitudes, pour appréhender la réconciliation, pour parvenir à pardonner et être pardonné. Joe Blocker réalise sa dernière mission avant un départ à la retraite apparemment méritée. Cette mission, forcé à l’exécuter, lui ronge le coeur et l’esprit. Remplir cette mission avec objectivité et professionnalisme c’est insulter la mémoire de tous ses amis tombés sous les coups de ce chef indien, Yellow Hawk, à qui le gouvernement a accordé de se retirer dans ses terres pour y mourrir sereinement ! C’est aussi dédaigner tous ses sacrifices, ses souffrances, ses blessures au nom de l’Union. Dans son voyage entamé, il va recueillir Rosalee. Cette dernière a vu ses enfants et son mari massacrés par des Comanches. Joe Blocker la découvre en train de murmurer une berceuse dans sa maison calcinée. Il joue le jeu de Rosalee, il intime à ses hommes de ne faire aucun bruit ; avec une délicatesse tout contenue, il parviendra à ramener Rosalee au bivouac. Elle serre contre son coeur son dernier-né enveloppé dans un linge rougi du sang du massacre. Un linge ? Ce n’est plus un linge, c’est un linceul ! C’est son ventre qui a porté ses enfants qui est ensanglanté, pas le sang de la naissance, le sang de la mort. Sa souffrance est rouge du sang de sa famille massacrée. Elle étouffe de peur, de sidération quand elle aperçoit Yellow Hawk et les siens assis tranquilles dans le camp. La prestation de Rosamund Pike dans cette séquence et celle qui suit de suite après est douloureusement impressionnante. Rosalee veut elle-même enterrer sa famille, personne ne doit toucher à son enfant ; aussitôt Joe Blocker se retire d’un pas puis quand elle voit les soldats amener des pelles, Joe Blocker se fait l’écho de Rosalee en ordonnant aussitôt de les abandonner à terre. Joe Blocker et ses hommes demeurent muets et interdits, partageant la souffrance de cette femme qui gratte frénétiquement de ses mains la terre à quatre pattes et s’évertue à piocher une terre rocailleuse qui la contraint à abdiquer. Il fallait que sa rage s’exprime car trop longtemps contenue depuis sa fuite avec son dernier-né en se réfugiant sous un rocher à l’abri d’un Comanche venu achever son massacre. Cette séquence du début du film m’a pris les tripes. Le film prend aux tripes à travers son action et sa réflexion. Un film d’une grande sensibilité ; on y voit un Joe Blocker ému à l’infirmerie où un de ses soldats, Noir de surcroît, ce n’est pas anodin, est alité suite à une embuscade ; Joe Blocker ému après la disparition d’un vieux compagnon d’arme, Tommy Metz (Rory Cochrane) ; sensible à la lecture de son livre « La Guerre des Gaules » de Jules Cesar ; sensible quand il le propose avec une ébauche de sourire au petit fils de Yellow Hawk ; ému quand il parvient à se réconcilier avec ce dernier : « Une part de moi s’en va avec vous ». Son horrible passé s’en va avec la mort de Yellow Hawk, son ami. Oui, il parvient à considérer Yellow Hawk comme son ami quand le voyage s’apprête à s’achever. Il a eu le temps de le lui dire et surtout le courage de le considérer comme tel. Le voyage de Yellow Hawk prend fin et avec lui toutes les haines, les hostilités de son ennemi Joe Blocker meurent. Deux hommes parmi tant d’autres victimes d’un affrontement qui a opposé les Blancs aux Indiens. Son vieux compagnon d’armes, Tommy Metz traînait depuis longtemps ce fardeau immonde : le massacre des amérindiens. Au lieu de profiter de la vie civile pour laquelle il ne se sentait pas adapté,
il préférera mettre fin à ces jours
; la veille, il demandera pardon à Yellow Hawk pour tous les crimes faits au nom des Blancs, crimes irréparables, et implorera sa pitié pour tous ! Scott Cooper nous pond un film sur le pardon, sur ce génocide indien qui entachera à jamais la conscience des Blancs américains. Je ne peux pas dire « qui entachera à jamais la conscience de l’Amérique », l’Amérique c’est avant tout les Indiens ! J’ose : le cancer de Yellow Hawk est le cancer qui ronge l’Amérique face à son Histoire. Le constat est là : « Hostiles » n’est pas un western manichéen, il n’y a pas d’un côté les gentils, victimes des Blancs, et de l’autre, les méchants, bourreaux des amérindiens. L’Histoire de l’Amérique est trop compliquée pour résumer de façon aussi simpliste ce conflit. Il est inscrit en préambule une citation de D.H Lawrence que je résumerai succinctement par l’Amérique est violente et le demeure encore aujourd’hui. Une Amérique qui après avoir balayé les Amérindiens, s’appliquera à persécuter sa propre population Noire. Elle n’en finira pas d’être violente. De Christian Bale à Wes Study en passant par Rosamund Pike et Rory Cochrane, la distribution est impeccable. Même Q’Orianka Kilcher et Tanaya Beatty, les deux figures féminines indiennes sont mises en valeur par le récit et la vision de Scott Cooper. Des rôles ingrats et périlleux car reléguées à l’arrière de la troupe. Scott Cooper a su capter leur silence et leurs regards interprétés avec solidité. Christian Bale et Rosamund Pike jouent là une de leurs meilleures partitions de leur carrière. Scott Cooper y révèle par petites touches la culture indienne, à travers aussi sa langue, le cheyenne. Un film qu’aurait renié un certain John Wayne car il n’aurait pas supporté qu’un cavalier de l’Union comme Joe Blocker soit ému aux larmes ! « Hostiles » ne me réconcilie pas pour autant avec l’Humanité. A voir en V.O si possible.