Récemment récompensé aux Golden Globes dans quatre catégories, dont celle du meilleur film, il en va de soi que ce 3 Billboards est indéniablement l’un des grands favoris à la course aux Oscars qui prendra place en mars prochain à Hollywood.
Quelque part entre le cinéma des frères Coen et de Quentin Tarantino, cette surprise du ciné indé ricain pondu par le cinéaste à qui l’on devait le très cynique In Bruges, marche sur les traces d’une généalogie cinématographique libertaire et vagabonde, qui fit les belles années du Nouvel Hollywood à la fin des années soixante avec des films comme Bonny & Clyde ou encore Macadam Cowboy.
Malgré le style du film, un tantinet éculé, le scénario, intelligent et sophistiqué, réussi l’exploit d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice de cette longue liste.
La force de 3 Billboards réside dans son écriture, particulièrement celle accordée à ses personnages, d’une profondeur et d’une humanité implacable (ce qui n’est guère étonnant quand on sait que le réalisateur est un passionné de théâtre).
La remarquable ambiguïté et palette d’émotions qui caractérise chaque protagoniste (même dans les troisièmes rôles) manifeste un travail et en sens aiguisé de la catharsis.
Mildred, femme forte, engagée et sensible sous une carapace impassible de mère brisée et prête à tout pour dénoncer l’injustice dont elle est victime, est, en y réfléchissant de plus près, proche des personnages que pouvaient interpréter, jadis, John Wayne (référence revendiquée par la comédienne Frances McDormand). Ce qui fait de ce personnage féminin, l’un des plus osés et des plus beaux de ces dernières années.
Il faut évidemment féliciter son interprète, Frances McDormand, qui retrouve ici un rôle à la (dé)mesure de son talent extraordinaire, prouvant que les actrices, même passées un certain âge, ont toujours les ressources pour endosser des rôles forts (détail que, je suis sûr, Hollywood se sera bien fait de remarquer et de noter).
Bien que le cinéaste, Martin McDonagh, ne considère pas son film comme féministe. Il est fort probable qu’il soit reconnu en tant que tel, tant le personnage de Mildred porte tous les aspects de la femme moderne. D'autant plus que le McDonagh insiste sur le côté patriarcal et conservateur de l’environnement dans lequel se déroule son histoire.
Il ne faudrait pas oublier que le long-métrage, au-delà de présenter une panoplie d’individus riches et denses, offre une intrigue extrêmement bien ficelée, à la fois drôle et sensible.
Le scénario, teinté d’un humour noir que n’auraient renié les Coen, délivre des messages délicatement susurrés aux oreilles du public et implicitement délivrées par des séquences, des scènes, des plans qui transpirent la sincérité dans chaque pixel de l’image.
Ici, aucune part de blanc ou de noir, tout est dilué dans un mélange grisâtre qui reflète le caractère ambivalent de l’homme et du monde qu’il a construit à son image. Les archétypes sont présents pour une seule raison, pouvoir s’en détacher et construire quelque chose de l’ordre de la mystification.
Bien que la mise en scène, chaleureuse, ne suscite pas de grands moments de grâce (si ce n’est un plan séquence haletant d’un Sam Rockwell brutal qui tient certainement son meilleur rôle ici), le rythme latent apporte une tonalité singulière se mêlant aux quelques fulgurances d’écritures du cinéaste irlandais qui crée un mélange savoureux.
En ressort un équilibre enivrant, où la mélancolie du film est contrebalancée par un humour décoiffant, brillant par des dialogues tirés au cordeau et où l’horreur des faits est assayée par une réflexion optimiste sur le deuil. Un cocktail délictueux à consommer sans modération.