Que ca fait du bien de voir des films de cette qualité ! On ne va pas tourner autour du pot, « 3 billboards » est une réussite, une vraie belle réussite. C’est d’abord une réussite d’un point de vue technique, et on la doit à Martin MacDonagh. Le film dure presque 2 heures et c’est à regret que l’on voit arriver le générique de fin, pas une scène de trop, pas une scène qui dure trop longtemps, pas une scène de pathos alors que le scénario offre des dizaines d’occasion d’en glisser une. « 3 billboards » est un film très maîtrisé dans sa forme, que ce soit au niveau de l’ambiance « petite bourgade du sud des Etats-Unis », au niveau de la photographie et même au niveau de la bande originale. Très éclectique, passant sans transition de la variété à la country puis bifurquant sans prévenir vers le classique et l’opéra, cette BO sert le film au lieu d’appuyer les effets. Au contraire même, la musique est parfois utilisée à contre-emploi, elle apporte une petite puissance supplémentaire à des scènes déjà très fortes. Des scènes fortes (incendie, bavure policière) sont parsemées tout au long du long-métrage, mais il y a aussi des petites trouvailles comme cette scène filmée au travers du pansement d’un grand brulé ou encore ce flash back très court mais tellement percutant qu’il nous laisse cloué sur notre siège de cinéma. Honnêtement, je ne m’attendais pas à voir une comédie en choisissant ce film, mais je n’imaginais pas non plus la puissance comique qui allait s’en dégager. On est dans le drame absolu et pourtant, un humour noir, limite cynique vient 10 fois, 100 fois, 1000 fois alléger le propos du film. On peut raconter les histoires les plus sordides du monde (et l’histoire de Mildred Hayes est sordide) comme ça sans problème. Le film ne baisse jamais de rythme nous faisant au contraire valser comme sur des montagnes russes : rebondissements tragiques que l’on ne voit pas venir, fausse piste quant à la résolution du crime, le film ne cède pas à la facilité, y compris à la facilité du « happy end » policier, c'est-à-dire à la résolution par enchantement d’une enquête insoluble. Frances MacDormand est tout simplement impériale dans le rôle de cette femme à la rage rentrée, dont le chagrin et la culpabilité (voir le flash back) se sont agglomérés dans son ventre comme une boule de colère que rien, mais vraiment rien, ne viendra altérer. Le shérif du coin, un brave type visiblement dépassé par un crime de ce calibre, à lui aussi aggloméré dans son ventre la frustration de cette enquête qui n’avance pas et l’a transformé en cancer du pancréas. C’est Woody Harrelson qui lui donne corps et son personnage est très vite terriblement attachant, jamais caricatural, et sans en faire des tonnes, il faut passer beaucoup dans le rôle du sheriff Willoughby. Mais c’est dans le second rôle de Jason Dixon que l’acteur Sam Rockwell livre une vraie performance. Ce personnage de flic violent, raciste, limité et qui vit encore chez une mère visiblement castratrice est au départ une vraie caricature que l’on aime détester et puis…
son personnage évolue alors qu’on n’aurait pas parié un euro dessus, il prend une épaisseur inattendue et on finit par trembler pour lui, parce que lui aussi, à sa manière, supporte mal la non résolution de la mort d’Angela Hayes.
Il y plein de rôles secondaires très écrits dans « 3 billboards » et l’on retrouve avec plaisir Peter Dinklage ou Zeljko Ivanek ou même encore Clarkes Peters que les amateurs de bonne séries TV connaissent bien. Le scénario de « 3 billboards », je l’ai dit, ne cède jamais à la facilité. On s’attend à voir un film policier mais on est devant autre chose
et rien ne dit qu’à la fin, on connaitra l’identité du tueur, ni même qu’on aura le début d’une piste
. Le pari de Mildred avec ses panneaux est de réveiller l’enquête, mais rien ne dit qu’à part mettre la ville sans dessus dessous, elle obtiendra des résultats. Elle se met à dos une bonne partie de la ville, y compris le dentiste (cela donne une scène qui, bien que plus courte, est au moins aussi angoissante que celle de « marathon man » !), elle règle aussi ses comptes avec son ex-mari (un flic qui la battait) par la même occasion. Mildred joue gros avec des 3 panneaux géants, elle crève un abcès qui la ronge en faisant cela : l’abcès d’un mariage violent, d’une culpabilité qui la ronge somme de l’acide, et d’un crime abominable qui pourrait bien rester impuni. La détermination de Mildred force l’admiration mais est aussi vaguement angoissante car elle met le doigt dans un engrenage qui lui fera faire bien pire que d’acheter 3 pubs géantes. Le scénario est presque formaté comme un tourbillon qui vous entraine de plus en plus loin dans la rancœur, la vengeance et le crime, mais il a l’intelligence de rappeler, au moment où on s’y attend le moins, que l’intelligence et la sensibilité peuvent rattraper les situations les plus pourries. Ce qui fonctionne dans le film de MacDonagh, c’est que l’on n’est pas devant un polar conventionnel, d’ailleurs on ne saura quasiment rien du crime en lui-même et de l’enquête menée : on est dans autre chose. La toute fin est un peu frustrante, un tout petit peu trop abrupte à mon gout, mais elle donne une note finale un peu amère qui sied bien à ce film absolument incontournable que je vous conseille vivement : du très très bon cinéma !