Le principal atout de ce charmant petit film français c’est indéniablement son casting, absolument parfait, des rôles titres jusqu’aux seconds rôles, tous parfaitement incarnées tous bien écrits, tous excellents. François Damiens, on ne le présente plus et surtout on sait maintenant qu’il est parfait lorsqu’on exige de lui de la sensibilité, de la délicatesse même et en même temps, une vraie présence à l’écran. Il est adorable dans le rôle de ce père veuf, un peu dépassé par la grossesse de sa fille, déboussolé par une situation qui tiraille ses sentiments, (très) maladroit quand il drague (mal), un peu taiseux, tout en nuance. A ses côtés, Cécile de France est pétillante, tout en restant fragile elle aussi, mais de manière plus intermittente, comme la femme forte et assumée qu’elle revendique d’être. Les seconds rôles sont vraiment bien écrits, Guy Marchant en père affectueux mais lui aussi maladroit, André Wilms en géniteur, vieil idéaliste voit tomber du ciel un fils qu’il n’espérait plus, Alice de Lencquesaing en fille indépendante et future mère célibataire et Esteban en… en on ne sait pas trop quoi dire pour la qualifier ! Cet acteur atypique, à l’origine de toutes les scènes d’humour du film, est le rôle peut-être le plus outrancier et caricatural mais ce n’est pas forcément facile, pour un acteur, de bien incarner ce genre de rôle très décalé sans tomber dans le grotesque. Esteban est toujours sur le fil mais ne tombe jamais dans cet écueil. Carine Tardieu, la réalisatrice, réussit un film très cohérent, qui n’est jamais trop lent, trop bavard, trop mièvre, trop attendu. Sa réalisation est assez conventionnelle mais elle filme bien la Bretagne, le rythme de son film est soutenu, on ne décroche pas, on rit beaucoup, on est ému un peu aussi. C’est une bonne surprise que « Otez-moi d’un doute », car c’est au départ un film dont je n’attendais rien de précis. Le thème de la paternité, du type qui découvre que son père n’est pas son père ce n’est pas nouveau au cinéma et on peut le traiter de mille manière, la problématique est au final toujours la même : quelle place pour ce père biologique dans la vie de son enfant, a-t-il le droit d’en avoir une, et comment composer avec un nouveau père quand on en a déjà un qu’on aime ? Sur le papier le scénario ne part pas gagnant et pourtant, au final, on a droit à un long-métrage tout en délicatesse, en nuance, et surtout plein de pudeur sur l’amour sous toutes ses formes : l’amour entre père et fils, entre père et fille, entre frère et sœur, entre un homme et une femme qui se plaisent. Et comme il est difficile de parler d’amour avec ceux qu’on aime, il n’y a rien de plus difficile je crois… Le film traite surtout de cela, de la pudeur (parfois envahissante) des gens qui s’aiment et qui n’osent ni se le dire, ni se le montrer. Dans « Otez-moi d’un doute », cette pudeur est essentiellement masculine, les hommes sont muets d’amour là alors que les femmes mettent des mots et même des actes dessus. L’omniprésence des femmes fortes et maitresses de leur destin (alors que les mères, paradoxalement, sont totalement absentes, soit mortes soit parties) avec le personnage d’Anna ou celui de Juliette semblent être le négatif des personnages masculins (Erwan et ses deux pères) qui paraissent subir les aléas de la vie et des sentiments. Au milieu, le personnage de Didier, inclassable, improbable, même pas à mi-chemin des deux, juste complètement ailleurs ! Le scénario, qui prends bien soin de ne pas verser dans l’improbable, nous réserve quelques tous petits rebondissements presque anecdotiques, mais qui fonctionnent assez bien pour permettre une fin à l’image du film tout entier : mi douce-mi amère, pleine de tendresse pudiquement tue. Du côté des petits défauts, on peut regretter éventuellement l’outrance une peu étrange du personnage de Didier mais comme il nous fait bien rire, on lui pardonne. A part cela je ne vois pas bien quoi trouver à redire à cette charmante comédie dramatique, venue de nulle part, certes pas inoubliable mais qui s’avère au final être pleine de tendresse sans jamais tomber dans le mièvre ou le ridicule. En tous cas, le film de Carine Tardieu est la preuve qu’on peut réussir un film à partir d’une idée très peu originale et mille fois traitée. C’est pour toutes les fois où le cinéma français fait l’inverse, en vidant de sa substance un sujet de départ ultra prometteur à cause d’un scénario paresseux !