Physiquement et moralement éprouvant pour le spectateur, DETROIT est la deuxième incursion de Kathryn Bigelow dans les émeutes raciales et le racisme des forces de l’ordre qui les accompagne, après « Strange Days » (certes film de science fiction, mais inspiré par les évènements de L.A. en 1992 suite à l’affaire Rodney King). Elle porte cette fois sur des faits réels qui se sont produit cinquante ans en arrière. Le film commence par un générique en forme de dessin animé (plutôt laid mais très didactique) qui montre d’emblée la construction de la mosaïque communautariste des USA assortie d’une volonté d’apartheid officiellement en contradiction avec la constitution américaine, mais néanmoins bien réelle dans les faits.
La première demi heure du film utilise la caméra à l’épaule pour accentuer le côté à la fois documentaire et incontrôlé de l’engrenage des évènements. Heureusement, ce procédé à la mode, plutôt pénible pour le spectateur, (utilisé souvent par des cinéastes pour masquer leur absence de technique) est parfaitement justifié ici. Il renforce le malaise éprouvé face à l’arbitraire et l’over-reacting des forces de l’ordre vis à vis de la communauté noire et de sa musique (Motown contraction de Motor Town, le surnom de détroit) sur laquelle dansent néanmoins les blancs chics dans les clubs huppés.
Mais le meilleur (cinématographiquement parlant) est à venir. Après un jeu imbécile qui se termine par un crétin qui tire sur la garde civile avec un jouet, commence une autre partie : torture et massacre, qui rejoint par sa minutie chirurgicale le film d’horreur. Le bal est mené par un sergent au physique d’adolescent poupin (Will Poulter), ce qui le rend doublement effrayant. Mais c’est dans la troisième partie que le film prend toute sa dimension politique. Le procès organisé pour innocenter les criminels de la police, malgré les efforts des enquêteurs pour les faire plonger, montre à quel degré de bassesse la violence d’état est arrivée. Car c’est de cela qu’il s’agit : Bigelow dénonce cette violence inhérente à la société américaine, sur fond de racisme intra communautaire (la transgression est symbolisée par deux jeunes filles blanches qui seront humiliées et agressées), et comme les allemands au football, à la fin c’est toujours les WASP qui gagnent. Et cela sans retenue, comme le découvrira Melvyn Dismukes (John Boyega tout en nuance), un agent de sécurité traité de Tom par sa communauté, qui tentera en vain de limiter les dégâts,
mais n’empêchera rien
. Traité de suspect par les inspecteurs qui veulent le faire parler pour faire plonger la bande de flics racistes, il préfèrera se taire, car il sait que c’est inutile, comme le montrera le verdict des jurés du procès.
Du générique fondateur, jusqu’au choix de Larry (Algee Smith)
qui ne veut pas chanter pour les clubs où dansent les blancs (dans le gospel il est chez lui)
, le constat de la fracture est telle, qu’aucun optimisme laisse entrevoir une infime sortie de ce chaos larvé, prêt à exploser à chaque occasion.
Magnifiquement photographié et bénéficiant d’une direction d’acteur superlative, DETROIT est assurément le meilleur film de la cinéaste et aussi le plus important.
Le critique du NEW YORKER parle de pornographie à propos de ce film, oubliant que si c’est peut être obscène, c’est malheureusement la réalité. Quant aux polémistes qui dénient à Kathryn Bigelow le droit de faire ce film sous prétexte qu’elle n’est pas afro-américaine (ségrégation, quand tu nous tient !), ils devraient nous expliquer pourquoi cette histoire est restée hors des écrans pendant cinquante ans. Par ce que ça ne peut pas se reproduire ? Sérieusement ?