Eh bah ça m’a plu ce « Detroit »… Pourtant le début m’avait laissé plus que sceptique. Parce que oui, par quoi commence ce film ? Il commence par un long carton d’introduction. Or ça, moi, c’est l’annonciateur de la pire des paresses. Quand tu décides de raconter par du texte ce que tu pourrais faire avec du cinéma, ça n’augure rien de bon. Et quand en plus j’ai constaté que ce carton n’avait que pour seul et unique but de me faire une longue leçon de morale visant à justifier dès le départ les actions des uns et à condamner les actions des autres, là j’ai commencé à avoir très peur. Par tous les dieux du septième art ! Katheryn Bigelow allait-elle donc tomber aussi bas ? Allait-elle simplement se contenter de zapper tout l’aspect discursif de son sujet pour simplement l’illustrer avec des images choc ? Franchement, au début j’y ai cru. Et si le rendu visuel des premières scènes d’émeutes se révèle très percutant, tournées caméra au poing en mode « reporter sur le front », le risque de voir le film s’enliser dans la démonstration et la dénonciation faciles était malgré tout bien palpable. Heureusement, Katheryn Bigelow n’est pas née de la dernière pluie, et pour le coup ça se sent assez rapidement dans la manière dont l’intrigue se met à évoluer. En bonne taulière du cinéma d’action américain, l’amie Katheryn joue très vite avec les modulations de rythme pour faire « respirer » son film. Parce que non, une bonne tension au cinéma n’est pas une tension qu’on tient tout du long. Une tension trop maintenue sur le temps long finit toujours par atteindre une phase de plateau ; moment où généralement le spectateur finit par décrocher. Dans le cas de « Detroit », les premières scènes d’émeutes sont vite contrebalancées par des scènes s’intéressant à des parcours individuels apaisés et déconnectés de l’émeute. Pour moi, c’est d’ailleurs là que j’ai commencé à rentrer dans le film. Cette bascule m’a permis de m’impliquer dans des individus et non dans une masse ; elle m’a permis de ressortir d’un discours social prémâché au profit d’enjeux plus personnels et nuancés, et surtout elle m’a permis de saisir différemment toute la violence de ces émeutes. Parce que oui, quand on passe d’une scène où un groupe d’amis à la voix d’or s’apprêtent à exaucer leur rêve en montant sur scène, et que soudainement les émeutes viennent percuter leur destin, en termes d’expérience sensorielle, il se passe quelque-chose. Car c’est aussi ça le talent de Katheryn Bigelow dans « Detroit » : elle sait très vite poser ses atmosphères ce qui donne du coup encore plus d’impact à ses ruptures et ses transitions. Pour le coup, les contrastes instaurés entre ces moments conviviaux et ces moments violents parviennent vraiment à générer cette respiration indispensable au bon fonctionnement du spectacle. Et là, franchement, malgré les 2h20 de spectacle, je trouve que tout cela coulisse à merveille. La tension est merveilleusement entretenue, tout cela au service d’un univers très prenant et très signifiant. Pour le coup, le matraquage discursif de l’introduction se révèle bien superflu au regard de ce que Dame Bigelow est capable de nous faire ressentir grâce à la maîtrise de ses codes formels. En l’occurrence, l’usage des codes du cinéma de guerre pour parler d’une émeute urbaine est très riche de sens. L’association des deux univers génère d’étranges sensations, comme cette impression d’assister à une ville prise d’assaut par une armée ennemie ou bien encore cette impression de voir une population subir les crimes de guerre menés par un occupant. Franchement, rien de mieux pour nous mettre à la place des noirs de Detroit ; pas besoin de carton manichéen pour cela. D’ailleurs, si je devais trouver quelques limites à ce film (parce que je lui en trouve), je les trouverais sûrement dans ces quelques réminiscences de l’esprit du carton d’introduction que l’on retrouve un peu partout le long de l’intrigue. Par exemple, le parti que prend le film de présenter dès l’intro les policiers zélés me paraissait clairement dispensable. Même si j’entends bien que dans les années 1960, des policiers de ce genre devaient être foison, leur présentation contribue clairement à construire l’intrigue de manière binaire et manichéenne entre d’un côté les gentils vraiment gentils et les méchants vraiment méchants. Même si le film nuance souvent cette position en révélant quelques mécaniques systémiques dans cette oppression étatique, se retrouver avec ces personnages vraiment caricaturaux – et cela dès le départ – nous enferme un peu dans un schéma de pensée et de perception de la situation qui est assez pauvre parce que justement binaire.
Pour le coup, je trouve que ça aurait été tellement plus intéressant de ne commencer à dessiner la personnalité de ces policiers qu’au moment de la « prise d’otage » dans l’Algiers. D’une part, ça aurait permis de vivre l’assaut comme étant celui d’un ennemi invisible, non personnifié, et donc encore plus effrayant. Ensuite, la singularisation progressive des ennemis aurait pu ouvrir sur cet effroi qu’aurait pu susciter certaines personnalités ; effroi d’autant plus fort que ces gens se seraient révélés au fond que de simples flics assez ordinaires et au fond assez humain. L’autre avantage de choix, c’est qu’il aurait alors été une transition parfaite vers le troisième temps du film qu’est le procès. Pour le coup, dans de telles conditions, j’aurais trouvé le déroulement de l’intrigue absolument parfait.
Mais bon, on ne refera pas le film hein… De toute façon, l’un dans l’autre, et malgré ces petites scories qui restreignent parfois notre analyse de l’événement, « Detroit » n’en reste pas moins un film que je trouve diablement efficace dans sa mise en scène et dans son cheminement. Et même si le final se révèle être assez conventionnel, je dois bien avouer qu’il a su conclure un spectacle qui m’a remué émotionnellement parlant, ce qui est pour moi le synonyme d’un pari remporté. Donc oui, « Detroit » est pour moi un film efficace et malin. Alors rien que pour cela : « merci Katheryn Bigelow »