Il ne manque pas de qualités, le long métrage de Marc Fitoussi, et d’abord de qualités technique. Même s’il est réalisé de façon assez conventionnelle, il ne souffre d’aucun temps mort, n’accuse pas de baisse de rythme, il passe tout seul, pour tout dire. La musique est agréable, quelques petites astuces de réalisation (les SMS sous forme de petits films, la scène du baladeur dans la RER) viennent agrémenter un film bien tenu, par un réalisateur qui sait en faire sans en faire trop. Le film n’est ni un drame ni une comédie mais il mêle les deux, sans jamais trop en faire dans un sens où dans l’autre. Quand c’est drôle ça reste délicat, quand c’est triste ça reste sobre. Il y a même une toute petite pointe de suspens, lorsque la jeune Anouk, déboussolée par ce qu’elle observe, quitte le bureau sans dire où elle va puis se trompe de RER. Ce n’est pas bien méchant mais on imagine quand même l’angoisse qui peut étreindre sa mère dans le même temps. Non, de ce point du vue rien à redire. Le casting est tout à fait intéressant aussi avec pour premier rôle une jeune fille épatante de naturel, Jeanne Jestin. Parfaite dans le rôle de la candide, le jeune fille incarne avec beaucoup de naturel et d’aplomb la jeune Anouk, qui va en une seule semaine, passer de l’enfance à l’âge adulte en touchant du doigt les déceptions, les compromis, la complexité de la vie d’une adulte qui travaille, qui aime, qui souffre aussi. A ses côté, Emilie Dequenne est également très bien, très sobre et très impliquée dans le rôle d’une mère divorcée qui fait de son mieux dans un travail qu’elle déteste, qu’elle n’a pas choisi (mais qui choisi aujourd’hui ?) mais auquel elle tient, forcément. Les second rôles sont davantage hauts en couleurs, notamment les duettistes Mathilde et Bénédicte (respectivement Nelly Antignac et Camille Chamoux), archétype de ce que la vie de bureau peut produire de pire. Les seconds rôles sont nombreux, souvent très bien tenus et c’est par eux que le plus drôle comme le plus tragique arrive. Franchement, l’idée du scénario est intéressante au départ, même si le double thème de la candide et du passage à l’âge adulte ne sont pas les plus originaux du monde, même combinés ensemble. L’idée que cette gamine découvre sa mère, avec qui elle a des rapports très affectueux, dans l’univers très dur parfois de la vie professionnel et qu’elle découvre qu’elle ne correspond pas à l’idée qu’elle se fait de sa « gentille maman », c’est très intéressant. Qui sommes-nous au travail ? Est-ce là où nous portons un masque et est-ce précisément là que nous n’en portons plus ? Comment être soi-même lorsqu’on doit obeir à des supérieurs, lorsqu’on doit donner des ordres, prendre des décisions lourdes, comment combiner ces exigences avec notre propre personnalité, notre propre morale. C’est un puits sans fond comme sujet et le film de Marc Fitoussi, de ce point de vue, n’est pas sans intérêt. La petite Anouk, qui est très dégourdie et maline pour son âge (un peu trop peut-être pour que cela soit toujours crédible !), comprends vite que quelques chose ne tourne pas rond dans cette entreprise et que sa mère est un rouage d’une machine qui tourne bizarrement à ses yeux idéalistes de gamine de 14 ans. Son obstination à comprendre le dossier de Nadia Choukri
(à laquelle sa mère refuse de verser une indemnisation)
l’amènera à comprendre beaucoup de chose et lui opposera violemment la dureté du monde du travail aujourd’hui. Parallèlement à cela, elle connaitra aussi sa première déception amoureuse (semaine bien remplie, donc…) et comprendra par la même occasion qu’en amour aussi, il y a souvent une plus jolie, plus drôle, plus charismatique que soit et que c’est elle qui gagne. Ca, c’est une leçon qui n’est jamais apprise… Je regrette néanmoins que le scénario de Marc Fitoussi ne mette pas davantage en exergue certains rôles (le rôle du père, finalement presque absent), ne fasse qu’effleurer quelques aspects comme celui du harcèlement moral mais aussi du harcèlement sexuel (au détour d’un geste, un tout petit geste mal placé), qu’il ne nous en dise pas un peu plus sur le personnage de Constance par exemple. Cette jeune femme, visiblement souffre-douleur de ses collègues, semble être dans une souffrance très forte mais on n’en saura pas beaucoup plus : quid du harcèlement « horizontal », c'est-à-dire entre collègue et sans liens hiérarchiques ? Ca existe, pourquoi avoir créé ce tout petit rôle presque anecdotique si c’est pour en rester à l’anecdotique, dommage… Même si le film de Marc Fitoussi dénonce un certain nombre de choses, il aurait pu aller un petit peu plus loin, être un tout petit peu plus noir ou cynique. Mais c’est un défaut que l’on peut lui pardonner parce que, bien réalisé, bien interprété et bénéficiant d’un sujet pertinent, son long métrage est équilibré, tendre et dur, drôle et tragique comme la vie de bureau, comme la vie tout court.