Il n’est pas fréquent qu’une émission documentaire finisse par se frayer un chemin jusqu’aux salles de cinéma mais ‘Strip-tease’ a toujours été un cas à part. Pourtant, ‘Ni juge ni soumise’ n’est pas à proprement parler un épisode qui tirerait en longueur de la célèbre émission lancée par la RTBF en 1985 : tout simplement, Libon et Hinant figuraient parmi les réguliers à la réalisation et la juge Anne Gruwez était déjà apparue dans un épisode de ‘Tout ça ne nous rendra pas le Congo’, plus proche successeur spirituel de l’émission. Du reste, le modus operandi est rigoureusement identique à ce qu’il a été durant les 30 ans d’existence de ce programme-culte : des moments saisis sur le vif - on pourrait dire presque “volés” - qui laissent chacun s’exprimer de la manière dont il le souhaite et surtout, aucun commentaire, aucune contextualisation du propos : c’est la réalité brute, du moins la réalité brute mise en scène par quelqu’un qui sait qu’il est filmé et que le sujet sera diffusé à l’antenne. Ici, il s’agit donc Anne Gruwez, une juge d’instruction bruxelloise et ce qu’on appelle une “bonne cliente” par son mélange d’autorité, d’humour pince-sans-rire et de bonhomie : fidèle en tous points au mode opératoire habituel, on la voit discuter avec ses collègues, recevoir ses “clients” et interagir avec eux de manière tour à tour affable, compréhensive, piquante ou cinglante en fonction du comportement des prévenus, ou en privé, jardiner avec son rat de compagnie sur l’épaule. En toile de fond de ce quotidien administratif et juridique, on suit un Cold Case vieux de vingt ans, avec deux prostituées victimes d’un tueur jamais identifié. Evidemment, c’est souvent drôle, noir mais drôle, et tant pis pour ceux qui pensent (et ont toujours pensé) que l’objectif de Strip-Tease est de faire rire aux dépens de la misère sociale et intellectuelle de ses protagonistes : l’humour pince-sans-rire, l’accent coloré et l’assurance tranquille avec laquelle cette juge assène ses convictions et ses vérités donnent parfois l’impression que Anne Gruwez est jouée par Yolande Moreau ! Les belles âmes pourraient s’émouvoir du franc-parler de la juge vis-à-vis de prévenus très majoritairement d’origine étrangère, ou se demander comment on peut tranquillement faire apparaître à l’écran les photos de femmes massacrées vingt ans plus tôt ou l’exhumation d’un corps en pleine putréfaction, dont la juge assure benoîtement aux policiers “qu’il ne sent pas si mauvais” : il y a ce souci de la vérité toute nue, évidemment,...mais il y a aussi cet esprit un peu punk et anar de ne s’imposer aucun tabou, quitte à les briser si nécessaire. Vu l’époque dans laquelle on vit, ‘Strip-tease’ serait sans doute encore plus utile aujourd’hui qu’il ne l’était voici 30 ans !