Corporate ne m’a pas laissé indifférent ; je travaille dans les RH et suis manager....
Ma passion pour le 7e art me pousse à être à la fus de fiction ou docu abordant le sujet de l’entreprise et des RH. Je suis l’actualité, scrute les salles obscures et suis à l’écoute des réactions de tout bord sur ce sujet.
Avec Corporate, Nicolas Silhol s’attaque, donc pour son premier long métrage, à la problématique du mal-être au travail ; mais la particularité de sa réalisation c’est le point de vue féminin. Il est porté par Celine Sallette incarnant la RRH (Emilie Tesson-Hansen) du département finance du siège de cette multinationale de l’agroalimentaire. Femme dans le contrôle permanent afin de donner une image impeccable d’elle même et de son professionnalisme. Son engagement est sans faille pour un système et un management qui lui promet une carrière toujours plus brillante. Elle maîtrise à la perfection les éléments de langage, adopte une stratégie élaborée, faite de pressions psychologiques, de menaces voilées. Le drame fissure ses belles certitudes et brise le masque de l’éco système feutré du siège et des RH. Une avalanche de questions s’abat sur tout ce beau monde : qui est réellement coupable ? Elle ? Son patron ? Les collègues silencieux ? La chaîne de commandement dans la multinationale où tous travaillent en baissant les yeux ? Défaillances individuelles ? Ou responsabilités collectives ? Qui va porter le chapeau ?
Pour la RRH la situation se retourne : de prédateur elle devient proie de son manager, de sa direction, de ses collègues…
Pour ma part j’ai apprécié ces questionnements que Nicolas Silhol fait émerger d’une manière clinique et implacable grâce à sa direction d’acteur, son scénario. Il appuie sur tous les rouages de l’entreprise, le regard des collaborateurs, les nouvelles alliances qui se profilent, se construit, les règlements de comptant qui s’organisent. Il nous rappelle froidement que l’entreprise est une pièce de théâtre permanente, oscillant dans un genre flou entre drames, parfois hélas, et comédie, rarement.
Celine Sallette campe un personnage très en nuance avec une double posture pro et perso pertinente. Son jeu accroît la crédibilité de l’intrigue et montre, avec une certaine finesse, le cheminement psychologique de son personnage à laquelle tout réussit. Lambert Wilson en Stéphane Froncart DRH du siège incarne un management implacable, froid et manipulateur, où il n’y a pas d’amis, mais des alliances et des intérêts en jeux.
Les qq. scènes de réunion de management RH sont particulièrement savoureuses notamment Frocart demandant l’ordre du jour à un de ses collaborateurs….
Enfin les dialogues professionnels font mouche, voire même trop ; rares sont les salariés qui maîtrisent autant les éléments de langage que Émilie, ou Stephane son manager. Pourtant le « rien à se reprocher »…. « Nous n’avons fait que notre travail » est assourdissant tellement ils sonnent faux dans ce drame… Mais si souvent utilisé...
Pour une profession féminisée à 85 %, le point de vue féminin interroge en creux, jusqu’à quelles extrémités une femme doit-elle aller pour s’imposer dans un monde d’hommes ? Pourtant je dirais que c’est une approche hasardeuse du « genre » qui supposerait une prédisposition des hommes à être plus violent ? Plus inhumain ? Je ne le pense pas… en tout cas c’est un sujet glissant dans un contexte d’entreprise de politique Responsabilité Social Entreprise (RSE).
Il y a aussi une lecture de Corporate plus engageante « Jusqu’ou doit on être solidaire de son entreprise ? »
La question morale se pose aussi « Jusqu’où peut-on être “corporate” ? »; d’autant plus cette question morale est centrale dans l’actualité récente politico judiciaire.
Ce regard interroge le spectateur-cadre que je suis dont les termes engagement, contrôle, carrière résonnent à la manière d’un réflexe pavlovien.
Cette première partie du film contextualisant et décrivant les conséquences du drame est particulièrement efficace, et fait ressortir un vrai questionnement sur la posture et le positionnement des directions des ressources humaines. Le syndicat pro des RH a d'ailleurs réagit : la mission des RH est « nécessairement équilibré entre des intérêts parfois contradictoires voire divergents » dixit, Laurence BERTAUD, présidente du groupe ANDRH Alsace Strasbourg.
La seconde partie plus fictionnelle reste à mon sens plus fantasmé et simpliste : le bourreau peut-il devenir super héros… Il faut aussi noté un oubli de taille : l’absence des partenaires sociaux et IRP dans l’intrigue en dehors de l’évocation du CHSCT.
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