Erick Zonca, devenu réalisateur prodige quand il récolte en 1998 pour "La vie rêvée des anges" son premier film Césars et Prix d'interprétation à Cannes (pour ses deux actrices Elodie Bouchez et Natacha Régnier), donne rarement de ses nouvelles. Il l'a fait tout récemment pour son quatrième long métrage en vingt ans de carrière et l'on peut dire à regret qu'elles ne sont pas très rassurantes. Un peu à l'image du retour avorté en 2013 avec son superfétatoire "Möbius", d'Eric Rochant catalogué lui aussi comme réalisateur de génie en 1989 avec "Un monde sans pitié". Comme quoi une gloire acquise trop tôt dans le cinéma français peut conférer un statut d'icône difficile à défendre . Léo Carax en demeure sans aucun doute le plus bel exemple en la matière. Pourtant "Fleuve noir", polar crasseux au titre très, "trop ?" prometteur avait de quoi faire saliver tous ceux qui guettent la moindre tentative de résurrection du film policier, genre dans lequel les réalisateurs français excellaient des années 1950 au mitan des années 1980. En effet, le réalisateur à la réputation encore solide avait réussi à réunir sous sa bannière un casting de premier choix. A côté de Vincent Cassel remplaçant Gérard Depardieu ayant renoncé officiellement pour raison de santé après une semaine de tournage, Romain Duris, Elodie Bouchez, Sandrine Kiberlain et Charles Berling promettaient d'unir leur talent afin de servir cette adaptation osée du best seller ("Une disparition inquiétante") de l'écrivain israélien Dror Mishani. D'union, malheureusement il n'y a pas eu. Erick Zonca dont on se demande quelles étaient ses intentions lors de la rédaction du scénario en compagnie de Lou de Fanget Signolet a laissé chaque acteur jouer dans son couloir, ne parvenant jamais à créer la symbiose indispensable autour d'une intrigue assez classique dans son déroulement et qui ne semblait pas présenter de difficulté majeure quant à sa transposition à l'écran. Son dernier film pourtant très réussi "Julia" remontant à 2008, on peut émettre l'hypothèse que le manque de pratique du métier de réalisateur se soit révélé un handicap trop lourd face à des acteurs qui eux n'arrêtent pas d'enchaîner les tournages. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Vincent Cassel et Romain Duris, les deux têtes d'affiche se sont "tiré la bourre" afin de voir lequel irait le plus loin dans la parodie de lui-même. Vincent Cassel très adepte des rôles à transformation physique déroutante ("Sa majesté minor" de Jean-Jacques Annaud en 2007, "Notre jour viendra" de Romain Gavras en 2010) peut rapidement être victime de crises de cabotinage suraigües quand son jeu n'est pas tenu par un scénario en béton. Il semble ici profiter de son arrivée très tardive sur le projet pour justifier une prestation en roue libre totale qui phagocyte tout l'écran à défaut d'être convaincante et de faire progresser l'intrigue. François Visconti (il fallait y penser) son flic à l'imperméable limé figure une sorte d'inspecteur Columbo version trash dont les petits travers délicieux incarnés par feu Peter Falk prennent ici une dimension grotesque faute d'appui sur une quelconque crédibilité. Crasseux comme ce n'est pas permis et affublé d'un sans-gêne dépassant l'entendement, il ajoute à la panoplie du fin limier à la 403 (la Peugeot millésimée de Columbo), une sexualité peu ragoutante qui s'affiche sans complexe, décuplée par un alcoolisme que sa hiérarchie laisse s'exprimer à loisir y compris au commissariat central. Pour compléter sa prestation décidément très inspirée par le fameux enquêteur de la police de L.A, Cassel ajoute une claudication au pauvre Visconti qui n'en demandait pas tant. La barque du grotesque est déjà bien lourde mais signe d'une production non maitrisée et sans âme, Erick Zonca a choisi de montrer une scène exposant généreusement les pectoraux et les abdominaux saillants de l'acteur, sans doute soucieux de ne pas ternir complètement son image de séducteur. Pour soutenir la comparaison, Romain Duris s'est de son côté fabriqué une binette d'intello binoclard et tête à claques qui agace très vite notamment parce que rien de ce que le scénario lui intime de faire n'est en phase avec l'enquête. Inutile de préciser qu'à côté de ces deux "rôles monstres", Sandrine Kiberlain, Elodie Bouchez et Charles Berling n'ont pas grand chose à défendre. . Quant à l'intrigue presque aussi glauque que ses personnages, elle passe bien sûr au second plan derrière ce mano a mano qui ne restera pas dans les mémoires et ce n'est pas le retournement final calamiteux qui la rendra plus captivante. Ce naufrage complet dévalorise sans aucun doute le livre de Dror Mishani qui pour avoir été un best seller doit être autrement mieux charpenté que le scénario dont Zonca est le responsable. Le réalisateur talentueux mérite sans aucun doute une autre chance. Après le fiasco commercial de "Fleuve noir" lui sera-t-elle offerte?