Erick Zonka, qui ne se fait pas très présent dans le cinéma français, nous promettait, avec ce titre et cette bande annonce, un polar pur sucre, très noir, correspondant assez bien à la série littéraire à laquelle il emprunte son titre. D’ailleurs, au regard du film, on se demande bien pourquoi il a choisi de titrer son film « Fleuve Noir » au lieu de garder le titre du roman d’origine, qui lui aurait collé beaucoup mieux « une disparition inquiétante ». Je ne connais pas ce roman israélien, alors je ne peux pas juger « Fleuve Noir » sous l’angle de l’adaptation réussie ou non. Ce que je peux dire c’est que le film d’Erick Zonca, qui dure 1h54, en parait beaucoup plus. La faute à un faux rythme qui endort un petit peu le spectateur. Même si c’est joliment filmé, bien photographié, même si l’habillage musical est d’une discrétion totale (au point qu’on ne la remarque jamais, pour un polar ce n’est pas très fréquent), le film n’arrive pas à nous passionner. La faute n’est pas imputable à Erick Zonca, quoi que… Quoi que la direction d’acteur soit de sa responsabilité et là, je trouve qu’il y aurait beaucoup à redire. Autant j’aime beaucoup Vincent Cassel et Romain Duris d’habitude, autant je trouve que dans « Fleuve Noir » ils ne sont pas dirigés ou pire, ils sont mal dirigés. Alors que toute l’intrigue repose sur leur confrontation, ils composent deux personnages qui manquent tellement de subtilité que cela en devient presque grotesque. D’un côté, vous avez Vincent Cassel en flic alcoolique, mal habillé, mal coiffé, qui mange la moitié de ses dialogues, qui ne peut pas marcher sans tituber, et dont le côté borderline est tellement exagéré qu’on ne le trouve même plus pathétique : il est au-delà de ça. A coté de François Visconti version Cassel, même les flics d’Olivier Marchal ont l’air de flics normaux, fiables et fréquentables ! Cassel est en roue libre, ca en devient navrant dans certaines scènes. Du coup, on n’y croit pas vraiment, à ce flic encore en fonction alors qu’il devrait être mis sur la touche depuis un bail : il boit au bureau, chez les témoins, il conduit dans la foulée, on lui laisse son arme, il fait le coup de poing dans le rue, j’en passe et des pires… Quand on pense que Vincent Cassel a repris au pied levé un rôle destiné initialement à… Gérard Depardieu, ça laisse songeur… De l’autre côté, on a Romain Duris, qui doit composer un professeur exalté et malsain,
dont l’homosexualité refoulée est censée lui donner un air inquiétant, un type qui s’exprime comme un livre et qui semble n’être à sa place nulle part, ni avec sa jeune épouse, ni dans son travail. Le scénario veut nous vendre un type que l’amour de la littérature rend quasiment fou, presque amoral, ce qui est un postulat très étrange quand même.
Si l’on excepte Sandrine Kiberlain (qui semble être la seule à avoir trouvé le ton juste dans ce film), les autres seconds rôles sont insignifiants, sous écrits et sous exploités. C’est quand même rageant de voir un si beau casting se fourvoyer dans des rôles si peu ou si mal écrits. Le scénario, qui au départ nous embarque dans une histoire de disparition assez banale, s’avère de plus en plus glauque et crapoteux au fil des minutes qui passent. Le
(double)
rebondissement final aurait pu fonctionner, il est même intelligemment amené quand on y pense, mais « Fleuve Noir » met bien trop mal à l’aise pour que je sois indulgente. De scène de viol (car de mon point de vue, ce que j’ai vu à l’écran n’est pas autre chose) en révélations sordides, on sort du film d’Erick Zonca avec un haut le cœur ! On m’objectera peut-être un désir de « regarder en face les horreurs de l’âme humaine » ou bien un « réalisme total et sans fausse pudeur », je peux essayer d’entendre cette défense mais sur ce coup là, je me sens plutôt l’âme d’un procureur. D’une disparition banale, le film nous entraine vers des rives malsaines qui, je suis navrée de le dire, relève plus du « racoleur » que du « réaliste ». Peut-être le scénariste n’est pas totalement en cause, peut-être le roman d’origine à-t-il été respecté, je ne sais pas mais en tant que spectateur, ça m’est un peu égal. Le film d’Erick Zonca ne me convient pas, ni dans sa forme, ni sur le fond. J’ai l’habitude des polars et des thrillers, en littérature comme au cinéma, le sordide ne m’effraie pas quand il justifié, mis en scène avec subtilité, quand il s’intègre dans une intrigue où il trouve sa place, pas dans une intrigue où il prend toute la place. A cause d’un scénario racoleur et d’une direction d’acteur incompréhensible et sans subtilité, « Fleuve Noir » s’avère au final une vraie déception. Pire, quand on quitte la salle, on à l’impression très désagréable d’être un peu salie par ce film, on a hâte de se débarrasser du souvenir de ce polar poisseux à qui, vous l’avez compris, je regrette d’avoir fait confiance.