Elle est bien vieille, mais résolue et douce : « Voulez-vous vous amuser avec moi ? » lance-t-elle aux vieux messieurs dans un square de Séoul. Depuis assez d’années pour se faire connaître de clients affectueux et fidèles. Mais les clients vieillissent eux aussi et se clairsèment.
Et l’on comprend que le visage de cette So-Young qui ne l’est plus reflète si souvent l’incertitude, la surprise ou la peur. Qu’attendre de la vie s’ils ne viennent plus, même les plus fidèles ?
Elle s’acharne pourtant, devenue une sorte d’infirmière frictionnant, piquant, massant de pauvres corps pour leur donner l’illusion de rajeunir un moment. Elle doit s’occuper aussi de ce petit garçon philippin qu’elle a recueilli alors qu’on arrêtait sa mère, et qui se laisse peu à peu apprivoiser. Elle fait face, humblement, obstinément dévouée, se contentant d’une petite miette de bonheur pour avancer, pour ajouter un autre jour à la nuit.
Une après-midi, un vieil habitué vient lui rendre visite. Pas pour « ça », il ne peut plus. Pour la voir. Et il lui conseille de se rendre au chevet d’un de ses plus généreux clients d’autrefois, victime d’une attaque cérébrale. La voici bientôt à ses côtés, et lui s’il peut encore la reconnaître, lui parler, n’a même plus la force ni l’envie de lui sourire. Est-elle intéressée, attend-elle qu’il lui propose sa main ? Elle reste fidèle à elle-même : résolue et douce, étonnée de l’immensité de la douleur.
On aura compris ce que ce beau film exige : la patience de se pencher sur les défaits de la vie, sur les fins dernières, la patience des Gervaise lançant son timide « Ecoutez donc », sur le trottoir de La Chapelle, « des cours sanglantes où l’on assommait, aux salles blafardes où la mort raidissait les gens dans les draps de tout le monde ». Tout comme le roman de Zola transcende la misère du récit par la rigueur de sa construction etle génie de son style, le film de E. J-young s’illumine de la fausse candeur de son interprète, et, jusqu’aux derniers jours, de son inentamable dignité.