Ils l'appellent Dieu Victor, parce que 20 ans plus tôt, aux pires heures de la dictature communiste en Roumanie, ce pater familias a dénoncé des femmes qui souhaitaient avorter. Dès les premières images du film, on sait que l'œuvre sera précise et brillante. La scène se passe dans une voiture. L'image est presque noire et blanche, comme un damier, séparant les jumeaux, Sasha et Romi, eux, colorés et en rire, des deux autres frères et sœurs, austères, tristes et gris. Et la fameuse sonate au clair de lune de Beethoven entonne son refrain pendant que le générique s'écoule. "Illégitime" est un film qui transcende les temporalités, posant un questionnement tant philosophique que métaphysique sur le bien et le mal, le légal et le légitime, le possible et l'impossible à vivre sa liberté. La mise en scène précise rappelle les grandes heures du cinéma d'un Maurice Pialat (quasi mimétique d'ailleurs dans la figure du père), dont les scènes de repas, d'engueulades et de violences familiales grandissaient les films. Le réalisateur, qui est malin, rappelle toutefois à la contemporanéité de son œuvre en occupant l'écran de téléphones portables ou de tablettes avec lesquels les protagonistes jouent, pour autant, le drame de l'inceste, de l'avortement, de l'amour qui traverse cette famille n'a pas de temporalité. On pense bien évidemment au cinéma de Cristian Mungiu, particulièrement son magnifique "4 mois, 3 semaines, 1 jours" qui traitait d'un sujet apparent mais cette fois au moment même du communisme. Ici, Adrian Sitaru compose un cinéma moderne, intelligent et même beau, qui par-delà la Roumanie, parle d'une société européenne au bord d'elle-même, par pauvreté de la pensée philosophique.