lisez une critique digne de ce nom, et laissez-vous éclairer, ça changera :
La chronique cinéma d'Emile Breton. Madame Hyde de Serge Bozon. Couleurs, 1 h 35
Madame Hyde, de Serge Bozon, est une comédie cruellement drôle, variation à partir du roman de Stevenson Dr Jekyll and Mr Hyde (1886), matière assez riche pour avoir inspiré aux cinéastes qui s’y attaquèrent deux de leurs meilleurs films, le Testament du docteur Cordelier (Jean Renoir, 1961) et Dr Jerry and Mr Love (Jerry Lewis, 1963). Ici, Mme Gekil, professeur dans un collège technique, est une biche fragile, aussi fermée devant la gentillesse insistante de son mari que face à la brutalité de ses élèves ou la condescendance de ses supérieurs. Un incident nocturne la transformera en son exact opposé. Voilà pour la comédie. Et Madame Hyde est aussi un film grave sur les rapports humains en nos temps difficiles, et notamment les rapports maître-élève, sur lesquels on a tant écrit. Et filmé. C’est ce délicat mélange qui fait son prix, entre fantastique (le souvenir du roman), comédie sur un être fragile peu fait pour aborder un monde sauvage (merveilleuse Isabelle Huppert, regards baissés face à des interlocuteurs toujours sûrs d’eux), et réflexion sur l’autorité magistrale.
Soit une œuvre qui sait révéler sa richesse, sans esbroufe. Le filmage est frontal : un décor typé, de la salle de cours froide au noir profond d’un bosquet, antichambre pour le mystère au pied d’une banale cité, des personnages comme pris sur le vif. On est dans le quotidien. Et dans l’indicible.
Que la décharge d’un arc électrique, dans la nuit de son laboratoire, puisse transformer la menue professeur en femme de lumière, c’est bien sûr ce que dit la fable : au sens propre, son corps transparent se nimbant d’un halo clair, capable d’affronter la nuit, ses périls, ses chiens loups, ses garçons sauvages slamant leur bonheur d’être au diapason les uns des autres. Mais ce que dit le film, dans ses allers-retours entre fable et quotidien, c’est que Mme Hyde, si sûre d’elle, est bien la frileuse Mme Gekil. La même femme. Car si un phénomène magique (l’arc électrique) l’a transformée, un phénomène du même ordre en est à l’origine, la cage de Faraday, cette cage métallique dans laquelle on s’enferme et que les rayons ne peuvent traverser, plus rien de magique dans ce cas. C’est parce qu’elle a, avec ses élèves, bâti cette expérience, leur expliquant quel phénomène naturel, la non-conductibilité de métaux, était derrière cette apparente anomalie, qu’elle est elle-même – et eux – changée. Ils vont se parler. Ils vont s’entendre. Ils vont se respecter. Belle leçon, jamais assénée du haut d’une chaire morale, mais amenée par l’habile montage de fantastique et de quotidien qu’on appelle un film.