Le voilà enfin sur les écrans le film choc de la dernière édition du Festival de Cannes, celui qui a fait s’évanouir de nombreux festivaliers à travers le monde de Toronto à Gerardmer. Le genre de film qui fait beaucoup de bruit avant sa sortie et dont on a toujours peur qu’il soit un pétard mouillé. De ce côté-là, il n’en est rien. « Grave » est en effet une œuvre forte, une proposition de cinéma unique et singulière qui fait un bien fou dans le paysage du cinéma hexagonal. Julia Ducornau propose un film à la croisée des genres qui a tout du grand écart impossible mais dont la maîtrise générale impressionne. A mi-chemin entre le film gore, le thriller, le teen-movie et la comédie noire, tout cela baigné dans le cinéma d’auteur, son premier film étonne par son mélange de tonalités qui aboutit pourtant à un film d’une rare cohérence visuelle et narrative.
En revanche, pour ce qui est du choc, même si on a le droit à des scènes bien peu ragoûtantes, d’autres films bien plus extrêmes et écœurants sont déjà passés par là. De « Irréversible » en passant par « A l’intérieur » ou « Martyrs » pour ce qui est du côté français ou même tout un pan du cinéma d’horreur américain, on a déjà été davantage retourné dans une salle de cinéma. On pense aussi beaucoup à l’horreur plus intellectuelle telle que la pratiquait le David Cronenberg période organique (« Crash », « La Mouche », …), cinéaste auquel Ducornau fait beaucoup penser au niveau visuel.
D’ailleurs, la jeune cinéaste développe un univers qui lui est propre et un sens du cadre certain. Sa façon de filmer un bizutage estudiantin au plus près des corps et des ressentis interpelle tout comme certains plans fixes sur de la barbaque qui évitent tout complaisance mais se fondent totalement dans le propos développé par le film. Le cannibalisme n’est pas chose aisée à filmer et « Grave » le montre d’une manière à la limite du poétique comme le prouve, par exemple et à travers un esthétisme stupéfiant, la scène où les étudiants sont aspergés de peinture. Une séquence parmi d’autres où le spectateur est partagé entre effroi et beauté du geste (artistique). Et surtout, on n’est constamment surpris. A l’heure actuelle sur grand écran, on ne peut pas dire que ce soit la panacée…
Bien sûr, le film menace parfois de sombrer dans le n’importe quoi mais retombe toujours sur ses pattes de justesse. Le trio interprètes principaux n’y est pas étranger, apportant une sensibilité forte et une véracité à leurs rôles en dépit de comportements à la lisière du fantastique. Cela fait plaisir de voir un gay dans l’un des rôles principaux sorti de tout cliché communautariste. « Grave » est tout autant une étude de mœurs, qu’une étude des corps, à la fois un film d’horreur et un film de sentiments. C’est surtout quelque chose de novateur et de réussi pour qui veut s’essayer à autre chose. Et le rebondissement final, plutôt malin, assoit définitivement ce premier film comme un coup de maître en dépit de ses petites imperfections. Désinhibé, sans concession, radical et un peu fou, à déguster et apprécier sans modération !