"Grave", acclamé par la presse et le public, et récompensé au festival de Gérardmer, avait susciter chez moi une fascination. Une fascination aussi bien au niveau du film en lui-même qu'en sa création. En effet, il est rare de voir sortir en salles un film de genre français en plus d'être réalisé par une femme. Julia Ducourneau, ancienne étudiante à La Femis, avait auparavant réalisé deux courts-métrages : "Junior" et "Mange", eux aussi abordant la sujet de la transformation de la chaire. L'on peut donc voir ces trois œuvres former une trilogie, ce que la réalisatrice acquiesce. "Grave" est un premier long-métrage très réussi, apportant un renouveau dans le Cinéma français.
Justine (superbement interprétée par Garance Marillier), jeune étudiante végétarienne en école véto, subit avec les nouveaux élèves les bizutages qui leurs sont réservés. En la forçant à manger de la viande crue, elle va découvrir de nouvelles envies... L'histoire est originale, bien écrite et propose un développement psychologique parfaitement retranscrit à l'écran. Loin des scénarios habituels produits à la chaîne, celui de "Grave" se démarque par son inventivité et ce qu'il aborde pendant sa courte durée. Julia Ducourneau signe avec ce film de genre une œuvre brassant de nombreuses thématiques telles la découverte du plaisir, la violence familiale, l'amour et la vision du corps. Le cannibalisme dépeint dans ce film est vu comme une pulsion sexuelle, un désir purement charnel, à travers une adolescente en quête de soi. L'ensemble de ces messages forment un tout cohérent et délicieusement intéressant. Ecrit en trois ans, "Grave" alterne brillamment film d'horreur, film d'auteur et drame humain, un pur film de genre existant par l'amour des sensations fortes. En effet, lors de la conception du long-métrage Julia Ducourneau pensait d'abord créer un film encore plus sanglant, elle hésitait d'ailleurs entre ces trois tabous de l'humanité : le meurtre, l'inceste et le cannibalisme. Par choix, elle s'est attaquée à ce dernier, notamment pour la création du corps, fascination développée par ses deux parents médecins. L'on ressent donc le désir de marquer les esprits par le « body horror », à la manière d'un David Cronenberg.
Développant son protagoniste principal dans un milieu qui lui est différent et loin des figures paternelles et maternelles, il lui est alors plus facile de se dégager des règles familiales et de succomber à la force du groupe. Notamment face à celle de sa sœur, qui déploie ses ailes et aggrave son état et face au bizutage qui l'exploite, reflet du comportement dans la société. Julia Ducourneau filme le tourment de Justine entre érotisation et esthétisme, la mise en scène est d'ailleurs très bonne. Le rythme est soutenu, développant ses personnages sans tomber dans le cliché ou la caricature. De nombreuses scènes font forte impression, celles sanglantes particulièrement, qui ponctuent le long-métrage. En effet, l'ensemble se divise en plusieurs actes, finissant chacun sur un évènement marquant, annonçant une étape suivante encore plus frappante. La gratuité n'est pas partie prenante, l'intelligence du script ne tombe dans une surenchère outrancière comme auraient pu le faire certains autres films du genre. Rien ne sombre dans l'horreur pure, l'angoisse du film est générée par son réalisme malsain entre cannibalisme et bizutages et ses quelques chocs brutes malaisants et marqués par une bonne bande originale de Jim Williams. Le film subjugue, naviguant entre ésotérisme formel à la Dario Argento et inspirations nouvelles.
Julia Ducourneau repousse les limites du genre et celles du cinéma français actuel. "Grave" arrive avec l'effet d'une bombe après son succès dans les festivals, en espérant que malgré sa très faible distribution il réussisse à donner confiance aux producteurs et à propulser les carrières de ses comédiens. Puissant et maitrisé, "Grave" fascine et émerveille autant qu'il met mal à l'aise et effraie, et restera en tant que l'une des œuvres majeures de l'année 2017.