J’adore tomber sur des films dont on ne parle jamais, loin des listes préétablies par les cinéphiles des films qu’il faut avoir vu et qui sont un véritable uppercut ; celui-ci en fait partie.
François Bonini: « Trois soldats américains qui ont combattu en France pendant la Première Guerre mondiale se séparent et retournent à la vie civile. Lloyd Hart est avocat ; George Hally, ancien tenancier de saloon, devient contrebandier, Eddie Bartlett se retrouve chauffeur de taxi. La prohibition va de nouveau les réunir pour le meilleur et pour le pire...
Jean Tulard, dans son Dictionnaire du cinéma, affirme qu’avec Raoul Walsh, on ne s’ennuie jamais ; preuve en est une fois de plus avec ces Fantastiques années 20, surgeon tardif du film de gangsters qui, malgré un schéma convenu (l’ascension et la chute d’un caïd), fait montre d’une maîtrise incontestable : des premières images de guerre à la mort d’Eddie, avec cette pietà sur les marches de l’église, c’est un tourbillon d’une belle efficacité ; plus même, c’est un dynamisme constant qui porte le film et lui fait dépasser nombre de clichés : dynamisme de James Cagney, impeccable masse corporelle, dynamisme aussi d’une caméra virevoltante dont les travellings parfois très élaborés accompagnent l’énergie foisonnante des personnages.
Si le scénario est très classique, il comporte suffisamment d’éléments pour que les temps morts se résument à des numéros chantés ; pour le reste, le parcours d’Eddie, qui traverse la décennie du titre, s’organise autour de rencontres presque toutes annonciatrices de drames. C’est d’abord, dans les tranchées, George et Lloyd, avec lesquels il fraternise mais qui porte en eux les développements futurs ; témoin cette scène dans laquelle Lloyd refuse de tirer sur un ennemi trop jeune (comme il refusera plus tard d’être complice de crimes), alors qu’avec une délectation visible, George (Bogart lui-même, en passe de triompher dans les films noirs, aussi convaincant dans son personnage de dur que faible en couard dans ses dernières minutes) n’hésite pas : il sera le tueur et le traître sans états d’âme. Les rôles sont ainsi distribués, et ne varieront pas. Eddie retrouve ensuite Danny, aimable chauffeur de taxi et contrepoint comique, qu’il ne parviendra pas à protéger. Les femmes à leur tour interviennent, la marraine de guerre, Jean, trop jeune mais qui reviendra et sera à l’origine de sa perte, et Panama, celle qui l’initie au monde des bars clandestins et de l’argent facile. Walsh insiste sur cette initiation comme passage de frontière (ombres, porte dérobée) qui le fait pénétrer dans la nuit aussi réelle que symbolique.
Film de gangsters, Les fantastiques années 20 comporte son lot de fusillades et de brutalités, souvent hors-champ et en ombres chinoises. Contrat rempli. Mais Walsh l’insère scrupuleusement dans une chronologie explicite, avec ces fausses informations que des plans symboliques accompagnent, et donne ainsi sa vision très sombre d’une « belle époque » ; car pour lui, Eddie est d’abord une victime : victime d’une guerre prétendument pour la démocratie, victime ensuite d’une société qui ne veut plus voir ses soldats revenants et les condamne au chômage, victime enfin d’une prohibition absurde qui conduit les hommes à la clandestinité. Nul doute que ce qui est mis en accusation, c’est bien l’hypocrisie généralisée, la corruption et la violence qu’elles entraînent ; ce monde n’est fait que de gagnants et de perdants, et il n’y a pas de seconde chance (« nous sommes finis », dit Panama réduite à chanter dans un bouge). Seul Lloyd l’honnête s’en tire, mais pour cela il faut qu’Eddie se sacrifie en une rédemption tardive.
Walsh excelle dans les scènes d’action, sèches et fulgurantes, mais il fait aussi montre d’une finesse sans égale pour décrire les sentiments : des jeux de regards et de mains suffisent à dire la jalousie ou l’amour, avec une remarquable économie de moyens. Certes, Les fantastiques années 20 connaît de légères baisses de régime et un dénouement un peu lourd, mais l’ensemble est porté par une vigueur peu commune, une interprétation de haute volée (Cagney ne mérite pas le relatif oubli dans lequel il est tombé) et un extraordinaire sens de l’image (voir, entre mille, la manière dont le cinéaste cadre l’entrepôt d’État, trop massif pour ne pas annoncer la chute). À ce titre, le film est loin d’un classique poussiéreux ; on sera même surpris de découvrir à quel point les années 20 ressemblent aux nôtres. »
Donc à voir absolument, même s’il ne fait pas parti du panthéon cinématographique US de son époque comme un « Casablanca » par exemple ; cet oubli est injustifié pour cette petite pépite.
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