Le cinéma français contemporain, d’Audiard (Dheepan) à Sciamma (Bandes de Filles), tente de construire un regard sur la banlieue. Il cherche à s’accaparer cet univers qui, pour beaucoup, à commencer pleinement à exister par la médiatisation des émeutes de 2005. La périphérie devient paradoxalement le centre (d’intérêt) par une volonté sociale d’un cinéma français soi-disant républicain, mais qui ne cherche finalement qu’à reproduire cet espace à « nettoyer au karcher » comme le disait Sarkozy. On renoue ici avec la tradition des Apaches du début du XXe siècle, cette catégorie sociale – faite d’habitants des faubourgs – inventée par la littérature et le cinéma pour menacer l’ordre bourgeois. La banlieue est présentée, dans la même logique de recherche du sensationnel que les chaînes d’informations continues, comme une « no go zone » où se rencontrent des destins cinématographiques empruntés à Scarface.
Divines d’Houda Benyamina semble pourtant cerner la banlieue dans son essence même en décidant d’ouvrir son film avec un générique présentant en fond des Snaps de Dounia (Oulaya Amamra, épatante) et Maimouna (Déborah Lukumuena, irrésistible). Par cela, la réalisatrice pénètre alors pleinement dans le « film de banlieue » en collant à la récurrence interactionnelle de l’amitié comme valeur absolue. Mais surtout, elle capte la force de représentation de cette jeunesse qui parvient à exister par les réseaux sociaux, vus comme accès démocratique à la production et à la diffusion d’images. Une façon de survivre, au même titre que la religion présente dans le film, dans un environnement en plein délitement. Le capitalisme a transformé le rêve urbain des Trente Glorieuses en un cauchemar que Benyamina saisit par sa caméra en se focalisant frontalement sur des tours en ruine et particulièrement en ponctuant ses plans de grilles de chantier – vestige d’une action étatique –. Dounia s’insère dans cet espace en survivance en se présentant derrière ces dernières ou en les caressant tel des barreaux de prison.
Divines présente également en sous-texte la faillite du rêve républicain : les institutions sont devenues les ennemies irréductibles des Banlieusards en participant à la création de cette marginalité précaire et ethnique. L’école ne s’incarne plus que dans son arrêt puisque Dounia la quitte, par choix, après une altercation avec une professeure de BEP Métiers de la Relation aux Clients et Usagers. La force de cette scène est de participer aux cris d’une génération dont l’Etat attend qu’elle se batte, avec entrain, pour atteindre uniquement le bas de l’échelle salariale. Ces jeunes veulent se battre non pas pour un SMIC, mais pour un ailleurs. Un ailleurs d’autant plus politique dans le film qui consiste à une sortie totale de la France – chacun rêvant de la Thaïlande –. Marianne perd sa dimension de patrie maternelle aux profits des phares du capitalisme. Benyamina comprend bien que la banlieue est surtout un microcosme mort d’imaginaires qu’il faut apprendre à reconstruire à l’instar de cette scène, la plus belle du film, où Dounia et Maimouna miment un trajet en Ferrari sur la côte thaïlandaise. Par leur fougue, elles prennent le contrôle de la caméra et de la bande son pour s’échapper d’un monde où le sable est du béton.
Un horizon qui paraît atteignable seulement, aux yeux de Dounia, par le cercle vicieux de drogue de la même manière que dans Bande de Filles de Sciamma – dont le film reprend clairement la trame –. Par ce choix, Houda Benyamina tombe dans le piège de la représentation de la banlieue comme exotisme morbide pour son spectateur. En effet, elle pousse ses faits à l’extrême pour tenter de trouver un sensationnel qui la distinguerait de ses prédécesseurs. Dans un souci misérabiliste, elle exile sa protagoniste – arabe – de la banlieue vers un camp de Roms pour filmer une misère plus forte médiatiquement, celle du tiers-monde. Divines veut également se présenter comme une œuvre féministe en mettant à l’écran un monde de femmes régenté par un slogan réussi, « T’as du clitoris » annoncé par Rebecca (Jisca Kalvanda), la caïd du quartier. Néanmoins, le vrai féministe aurait été de sortir pleinement des cadres de pensée masculins : ne pas créer un jugement sur cette mère enfantant une « bâtarde » ou encore ne pas voir dans la romance – et les codes éculés de la comédie romantique – la seule échappatoire d’une femme.
Cependant, le principal problème discursif de Divines est le besoin d’avoir recours à la « Grande Culture » pour légitimer son propos. En dehors de la place donnée de manière bancale à la danse contemporaine, c’est l’utilisation de la musique qui synthétise principalement cette nécessité de se rapprocher d’un regard extérieur pour englober le plus de spectateurs possible. Comme si ces derniers devaient être protégés d’une immersion totale. La scène avec Diamonds de Rihanna chez Sciamma était forte, car elle se plaçait au niveau de ses protagonistes pour écouter les idoles qui façonnent leurs imaginaires et rendent possible une sortie de la précarité. Benyamina donne l’impression que l’émotion devrait être uniformisée à la manière des classes supérieures. Elle ne laisse affleurer le sentiment que sous les sons d’instrument légitimes pensés par Mozart ou Vivaldi. La musique originale de Demusmaker ne déroge pas à la règle en proposant une transcription sonore à base de violons pour les moments tristes ou de guitares électriques pour les moments de rage. Divines réduit la musique urbaine – présente à travers Azealia Banks et le rappeur Siboy – à n’être qu’une musique de boîte de nuit.
Avec son premier long-métrage, Houda Benyamina montre ainsi un véritable potentiel cinématographique. Néanmoins, elle fait de la banlieue un Disneyland pour festivaliers. Elle en reproduit les archétypes médiatiques en se choisissant un réalisme trafiqué pour répondre à son besoin de sensationnel. Une position d’autant plus alarmante qu’elle provient, pour une fois, d’une voix interne de la culture urbaine.