Traitant davantage des conséquences que des monstres eux-mêmes, la première réalisation de Dominique Rocher prend pour sujet central la solitude absolue qui habite son protagoniste, l’instinct de survie qui l’anime et les moyens qu’il se donne pour parvenir à maintenir sa condition. Entre « Je suis une légende » et « La route », « La nuit a dévoré le monde » met en scène la survie d’un homme devenu unique en faisant écho aux fantasmes que suggère une telle situation : solitude, peur, mais aussi folie. Ainsi, Dominique Rocher construit progressivement son récit survivaliste qu’il veut hyper réaliste, ne cherchant cependant en rien à renouveler le genre. Mais le film frappe en premier lieu par son traitement saisissant du silence. La rareté des dialogues, l’absence des bruits de la ville, l’apaisement qui en découle créent une réelle sensation de temps suspendu que la fluidité de la mise en scène vient soutenir. Alors que le récit intervient sur une année, la narration traduit la progressive perte de repères de Sam, en parallèle à sa folie ascendante. L’action est renfermée en un huis clos absolu, évoluant au sein d’un appartement sanctuarisé par son héros qui, pour échapper à une mort certaine, ne voit comme solution unique que le repli. La mise en scène, maîtrisée de bout en bout, s’appuie sur une lenteur certaine susceptible de déplaire à une partie du public, peu de mouvements de caméra, images froides, absence de dialogue, ou encore calme infernal : Rocher se détourne de la fureur et de l’horreur supposées du monde extérieur, idée ravivée par de rares séquences aussi impromptues que viscérales, dans le but de privilégier le chaos intérieur d’un être livré à la solitude la plus absolue, solitude dont ce dernier cherchera à combler en organisant méthodiquement sa survie. Et c’est ainsi que le jeune cinéaste français octroie à son œuvre, alors déjà percutante, une lecture et interprétation nouvelle. Sam, interprété par un Anders Danielsen Lie impérial, ne semble jamais réellement atteint par ce dont il est témoin. Rarement émotif, toujours pragmatique, le comportement qu’adopte l’individu semble révéler, au fond, d’une part, son incapacité antérieure à s’intégrer à l’ancien monde et, d’autre part, son plaisir inavoué d’être le dernier Homme sur Terre. En scrutant du haut de son immeuble haussmannien la populace zombifiée errant dans la rue, Sam perçoit en la fin des temps le fantasme égocentrique ultime qui lui permet, enfin, de se considérer comme celui sur lequel tout repose. L’idée véritable du film se trouve là : celle d’envisager l’apocalypse comme la représentation de l’espace mental de Sam, ceci dans le but de mieux revisiter l’allégorie sociale du film de zombie par le prisme de la misanthropie pure. Là où, au commencement du film, celui-ci était simplement ignoré par ses pairs, tous les regards sont dorénavant tournés vers lui une fois la fin du monde survenue, dont le nôtre, spectateur. Cette scène où, visiblement désespéré par la disparition progressive des décharnés dans les rues de la capitale, Sam se résout à jouer de la batterie le plus fort possible dans le but de les faire revenir afin de pouvoir les narguer à nouveau du haut de sa tour d’ivoire, fait assez explicitement énoncé dans ce sens : il jouit du fait d’être un puissant, sorte de nanti, mais viens alors se poser la question, qu’est-ce qu’un nanti dépourvu d’un peuple à regarder de haut ? Son sentiment de puissance extrême ne dépend que de la présence de la plèbe, ici réduit à des estropiés dénués de toute raison. Par ailleurs, le fait que Sam maintienne prisonnier l’un des zombies, alors enfermé dans la cage d’ascenseur, pour lui déverser tout son mépris avant de, finalement, lui révéler l’affection qu’il lui porte, semble révéler une métaphore thérapeutique à ce dédain initial. « La nuit a dévoré le monde » captif par sa mise en scène révélatrice d’une symbolique poussée et abordée avec talent. Véritable pépite du cinéma de genre français, Dominique Rocher livre avec ce thriller au suspense haletant une œuvre véritablement singulière. Usant avec brio du genre du film de zombie, le cinéaste nous fait part d’un film sur fond d’apocalypse zombie parisienne maîtrisé de bout en bout, menée avec talent par un Anders Danielsen Lie tout simplement magistral dans son rôle. « La nuit à dévoré le monde » se révèle comme une poésie fantastique profonde, froide, brutale, mais avant tout envoûtante. Davantage thriller que véritable film d’horreur, « La Nuit a Dévoré le Monde » sonne bien plus encore comme une œuvre reposant sur un nombre certain de symboliques traitées avec une justesse rare.