On reproche souvent au genre Biopic d’adopter une forme scolaire et factuelle, d’échouer à dévoiler le sujet au-delà de l’imagerie officielle et de se réfugier derrière des anecdotes de fiche Wikipedia. La tâche n’est pas simple : quand des réalisateurs expérimentés s’y collent, on sent bien que quelque chose se passe...mais cela ne rend pas le résultat forcément passionnant. Il en est ainsi d’Auguste Rodin par Jacques Doillon, dont l’entame se situe l’année des débuts de sa reconnaissance officielle tardive, se déploie comme une oeuvre austère, filmée dans le lieu véritable où l’homme exerça son art durant des décennies et qui ne le montre que rarement dans un contexte extérieur (quelques balades forestières - où il étudie les formes naturelles, d’ailleurs ! - quelques brèves rencontres avec Hugo ou Cézanne,...). On comprend pourtant qu’il fut un insatiable homme à femmes. On comprend aussi ce qui fit naître et entraîna ensuite la destruction de la relation forte qu’il noua avec Camille Claudel, qui souhaitait être tout à la fois son élève, sa muse, sa concurrente, son amante et son épouse légitime. Pourtant, peu importe l’importance que ces éléments occupent à l’écran, tout cela semble superflu, en tout cas moins intense que le spectateur (et le réalisateur?) l’avaient sans doute envisagé tant chez Rodin, tout semble subordonné à l’acte de création. Monolithe bourru et peu expansif dans ses relations avec les autres, on observe Vincent Lindon s’animer, imperceptiblement d’abord, de manière plus marquée ensuite, lorsqu’il trouve ce qu’il cherchait, une forme, une ligne, une courbe : raidissement de la posture, agitation fiévreuse, regard brûlant, l’acteur met toute son intériorité au service du rôle et c’est impressionnant...mais ce n’est pourtant pas suffisant: on a à peine le temps d’effleurer ce qui bouillonne à l’intérieur du sculpteur que déjà, il se dérobe, pour laisser place à ces développements plus prosaïques, relatifs à la carrière ou aux femmes, requis par l’organisation du scénario. Eut-il poussé à son maximum cette logique d’appropriation totale d’une personnalité vouée corps et âme à son art et, à travers elle, celle de l’incarnation d’un concept, que le film aurait sans doute été trop expérimental et très ennuyeux, au delà de l’admiration qu’on peut nourrir pour la performance de Lindon. Il faut croire que représenter parfaitement l’Acte de créer à l’écran est une utopie, dont on ne peut que s’approcher au plus près sans jamais l’atteindre.