Vincent Lindon, président de la République (chez Alain Cavalier), maçon ou vigile (chez Stéphane Brizé), maître-nageur (chez Philippe Lioret), etc: il est sans doute le meilleur acteur français contemporain, capable d'endosser l'identité comportementale du personnage qu'il interprète.
Et là, dans le Rodin de Jacques Doillon, on a du mal à admettre qu'il soit un génial sculpteur. Il a beau fixer intensément son modèle, malaxer des tissus dans le plâtre, pétrir la glaise: on n'y croit pas. Pourquoi? Parce que Rodin parle, qu'il commente sans cesse ce qu'il fait, ce qu'il pense, ce que les autres pensent de son oeuvre, et que ce dialogue, marmonné, souvent incompréhensible, est artificiel et paraît être tiré de sa correspondance ou d'une étude savante. Et ce que l'on voit sur l'écran, ce n'est donc pas le travail créateur de l'artiste, mystérieux, difficile, charnel, sensuel mais l'analyse intellectuelle de l'observateur.
A l'inverse de Rodin, Camille Claudel est parfaitement incarnée, au sens premier du terme, par Izïa Higelin qui habite son personnage, le rend vivant, et surtout irradie le plaisir et l'exaltation de la création. Lindon a beau lui pétrir les fesses comme s'il la sculptait, on ne voit là qu'un geste d'acteur dirigé par son metteur en scène.
Le comble de l'artifice est atteint lorsque Rodin rencontre Hugo, Juliette Drouet, Monet, Cézanne, Mirbeau, etc. Le dialogue, où les noms propres sont systématiquement cités pour éviter toute confusion, sombre dans le ridicule. De même, faute de moyens sans doute, l'accueil d'abord frileux de la société contemporaine, est représenté par deux ou trois scènes maladroites où on a l'impression de lire les articles des journaux de l'époque.
Au crédit du film, une photographie élégante, presque monochrome, mais dont la sobriété et la froideur finissent par assécher l'ensemble. Là encore, on sent trop la volonté de Doillon de se démarquer de l'émotion née des œuvres qui l'ont précédé, celles de Nuytten et de Dumont.
Rodin finit par devenir fade, sec, ennuyeux.