Anna Muylaert, que l’on a découverte avec le sympathique « Une seconde mère », aime à sonder les dérèglements familiaux et nous le prouve avec ce film tiré d’une histoire vraie qui a défrayé la chronique au Brésil. Un frère et une sœur apprennent successivement que leur mère les a enlevés à la naissance lorsque les parents du premier le retrouvent et demandent un test ADN. La mère en prison, on suit la nouvelle vie de Pierre séparé de sa sœur dans sa nouvelle famille. Un changement radical et un apprentissage forcément délicat. Voilà un sujet de film en or dont la réalisatrice tire un film moins abouti que le précédent, perclus de nombreuses lacunes, mais paradoxalement plus réussi par l’émotion qu’il dégage.
En effet, « D’une famille à l’autre » souffre (et c’est assez rare pour le souligner) d’une durée trop courte pour qu’un tel sujet soit traité correctement sous toutes ces facettes. L’angle choisi par la réalisatrice peut sembler étrange et exclusif mais on ne peut nier qu’avec peu de mots et un montage ultra serré, elle le traite avec brio. On suit donc uniquement Pierre ou Felipe, comme l’appelle ses nouveaux parents, au sein de sa nouvelle vie. Et à travers quelques scènes poignantes (le premier repas, la partie de bowling, …), on prend conscience de tout le déchirement intérieur de cet adolescent qui n’a rien demandé. Le trouble du jeune homme et les réactions de son entourage sont traités avec réalisme et acuité. Le fait d’ajouter à cela la question du genre (Pierre est à la recherche de sa sexualité) aurait pu faire trop. Mais cela passe parfaitement et sans encombre dans l’intrigue. De la même manière, les larmes ont le temps de monter à plusieurs reprises sans crier gare et sans pathos exagéré. Une gageure que l’émotion puisse s’installer en si peu de temps.
A contrario, on est quelque peu dans un ressenti de manque durant certains moments du film. Son côté trop elliptique est frustrant. Si le choix de ne pas expliquer les motivations de la mère voleuse d’enfants peut être compréhensible, la réalisatrice préférant se concentrer sur l’aspect dramatique que judiciaire et sur le passé, certains éléments éludés sont plus gênants. Par exemple, il est dommage de ne pas voir le parcours de la petite sœur dans sa nouvelle famille et la fin, si simple et belle soit-elle, parait quelque peu abrupte. Pourtant, on ne quitte pas une seule seconde l’écran des yeux, passionnés par cette incroyable drame mis en scène avec soin où l’émotion affleure à chaque instant, au détour d’un geste, de silences ou de dialogues parfaits déclamés par des acteurs impeccables et concernés. Un beau film en dépit de ces nombreux trous narratifs.