Werk ohne Autor (Never look away - Une œuvre sans auteur) de Florian Henckel von Donnersmarck
3 heures 8 minutes de pur bonheur cinématographique, un film d'une rare générosité, d'un intérêt complexe et multiple, qui se déroule pendant un tiers de siècle. Une fresque (et vous verrez que le mot est à propos) particulièrement haute en couleurs, en contrastes, et émotions.
Avant la guerre, en Allemagne, le nazisme annonce ses pires excès, ceux de l’eugénisme et de la race pure, débarrassée de ses anormaux par euthanasie. Après la guerre, c'est l'occupation russe, le stalinisme, puis le passage à l'Ouest.
Tout cela est évoqué admirablement, par des ambiances, des costumes, des décors superbement rendus. Nous suivons une famille qui en croise une autre. La suite à l'écran.
A cela s'ajoute une passionnante approche de l'art plastique, de la peinture décadente, incroyablement bien expliquée, du point de vue du IIIe Reich, au début du film. Puis, la peinture socialiste, argumentée et montrée de façon édifiante. Ensuite l'art conceptuel balbutiant dans les années 50, c'est hilarant. Et notre personnage central va devoir surmonter tout ce qui le " bloquait " dans son processus de création. Il y arrivera au prix d'efforts immenses, douloureux, et qui montrent l'extraordinaire complexité des rapports entre les personnes qui ont traversé cette époque dont, manifestement, l'Allemagne actuelle n'a pas encore soldé le prix.
Le réalisateur avait déjà beaucoup impressionné avec son premier long métrage : La vie des autres. L'histoire est inspirée ici, pour partie, par la vie du peintre Gerhard Richter, et les connaisseurs du tableau de Marcel Duchamp seront amusés de retrouver ce thème, de façon moins cubiste, mais proche de Muybridge, l'un des photographes précurseurs du cinématographe.
Paula Beer est l'amour de ce peintre, elle est sublime de beauté et de talent comme nous l'avions découverte dans Franz de François Ozon.
La musique de Max Richter - La Religieuse e.a. - est un concert, des concerts successifs, et qui magnifient le film comme rarement, avec un langage sonore d'une subtile adéquation avec le récit, dans toutes ses évolutions.
L'image de Caleb Deschanel, opérateur chevronné et célébré, est d'une cristalline beauté, ne transformant pas la réalité qui nous parait montrée sans truchement d'effets de couleur, de tonalités, d'usage d'optiques savamment utilisées. Les mouvements d'appareil sont d'une élégante sobriété, toujours justifiés, comme le sont les positions de caméra, aussi intéressantes qu'à propos, dans chaque séquence, pour en accentuer la singularité.
Dans le film, on rappelle que Qui sauve une vie sauve le monde entier. Il est savoureux de se souvenir que cette phrase, prononcée par un SS, est issue du Talmud.
Vous entendrez aussi cette sentence Ne détourne pas le regard, tout ce qui est vrai est beau, et ce film doit être vrai, car il est beau.