Le réalisateur allemand Florian Henckel Von Donnersmarck propose une fresque en deux parties de 90 minutes, plutôt qu’un seul film long de plus de 3h. Ce qui peut paraitre au départ une astuce marketing pour ne pas effrayer le spectateur m’a permis une expérience jusque là inédite, voir un film unique sur deux jours ! Etant donné que ce très long métrage manipule des notions un peu complexes, ce n’est peut-être pas plus mal d’avoir coupé en deux son propos, même si la coupure en question peut apparaitre un peu brusque sur le moment. Il apparait évident que même si on peut se contenter de la partie 1 (mais ce serait quand même très frustrant), c’est une œuvre à appréhender dans sa totalité, c’est pourquoi je ne propose qu’une seule critique pour les deux films. Von Donnersmarck, qui avait déjà disséqué le passé de son pays dans « La Vie des Autres » s’attaque ici avec un vrai didactisme à une fresque plus ambitieuse puisqu’elle met en scène successivement l’Allemagne nazie, la Guerre, l’occupation soviétique puis le mur de Berlin et enfin l’Allemagne de l’Ouest Il fait traverser à son personnage principal les pires heures de l’Allemagne, des heures qui lui raviront ceux qu’il aime dans un déluge de violence
pour le remettre encore une fois sur le chemin d’un des bourreaux de sa famille, tel un terrible balancier.
Le film est facile à suivre puisque sa narration est purement chronologique avec des petites dates en bas de l’écran, c’est très scolaire, pas très imaginatif dans la forme en tous cas. Si certaines scènes sont très réussies (comme le bombardement apocalyptique de Dresde, filmé de loin), si certaines sont même audacieusement dérangeantes (la scène à l’intérieure de la chambre à gaz), le film pêche quand même par son ultra classicisme. La musique est forte, elle appuie les effets comme le fond les pires films d’Hollywood, alors que ce n’était absolument pas nécessaire. C’est filmé de façon très propre, là encore très scolaire si l’on excepte quelques idées originales (comme la scène des volets qui claquent dans l’atelier de peinture et qui révèle à Kurt une vérité qu’il supposait sûrement inconsciemment). Il y a quelques pointes d’humour, notamment quand Kurt visite à l’Ouest un musée d’Art Contemporain (Musée qui flirte avec l’autodérision, ou la caricature, selon le point de vue que l’on a sur la question de l’Art Contemporain), mais dans l’ensemble « L’Œuvre sans Auteur » à clairement un côté austère et classique dans la forme qui ne plaira sans doute pas à tout le monde. Von Donnersmarck met en scène deux comédiens allemands qui commencent à être franchement connus hors de leurs frontières : Le formidable Sébastian Koch et la somptueuse Paula Beer. Mais c’est Tom Schilling qui tient le haut du pavé en donnant corps à un Kurt Barnert en apparence bien sage et propre sur lui mais qui trimballe inconsciemment le poids de beaucoup de souffrance muette. J’adresse aussi une mention spéciale à Saskia Rosendahl, dans un rôle tragique et trop court, qui en très peu de scène prouve et montre beaucoup de son talent. Le scénario de ce double film pourrait presque illustrer une dissertation de philosophie tant il manipule des notions complexes et fondamentales comme cette obsession des totalitarismes pour la Norme : la Norme biologique, la Norme sociale, la Norme artistique. Le parallèle entre le nazisme et le communisme dans cette obsession pour la Norme traverse tout le film. Elle peut paraitre démonstrative, en réalité elle est primordiale pour comprendre ce qu’est un vrai totalitarisme, une vraie dictature de la pensée. Le film évoque aussi l’Art et la part de l’inconscient chez les artistes.
C’est par l’Art que Kurt exorcise le passé familial, c’est par lui qu’il confond le bourreau de sa jeune tante.
Je dois avouer qu’en tant que profane, c’est sans doute l’aspect du scénario qui m’a parut le plus fumeux parfois. Et puis, il y a l’Histoire, avec un grand H, que traverse Kurt et qui est l’Histoire de l’Allemagne entre 1937 et 1967. Le personnage du professeur Seeband est passionnant car il est emblématique de cette bourgeoisie allemande qui a su se couler dans le moule des deux totalitarismes qui se sont succédé. Tel un chat maléfique, Seeband retombe toujours sur ses pieds, lui, le médecin nazi sans éthique devient un médecin communiste sans éthique et conserve son statut social, la chose la plus primordiale à ses yeux. Le film, du point de vue de ce personnage là, semble inachevé, et même frustrant. On aimerait en savoir plus sur ce qu’il adviendra (ou pas) de sa misérable vie. Moi qui suis plus historienne que versée dans l’Art et ses subtilités, je dois reconnaitre que le scénario de « L’Œuvre sans Auteur » m’apparait comme bancal au final, comme s’il lui manquant quelque chose pour tenir bien droit. C’est d’autant plus dommage que le film est sur le papier prometteur et sur l’écran plutôt réussi. Je regrette pour finir que ce long métrage sorte au cœur de l’été, en deux parties simultanées, et que cela le fasse passer inaperçu. Même s’il souffre de quelques petits défauts à mes yeux, il mérite d’être vu.