Il y a beaucoup de choses élogieuses à dire sur le film de Thomas Vincent qui constitue une vraie bonne surprise comme le cinéma sait en offrir parfois, quand on ose aller voir autre chose que les grosse sorties très médiatiques. Inspiré par le roman « Le cas Sneijder » (j’aurais d’ailleurs préféré que ce titre soit conservé, il est moins passe-partout et plus subtil que « La nouvelle vie de Paul Sneijder ») Thomas Vincent nous offre un film plein de pudeur et d’intelligence sur des sujets lourds, tout en évitant presque totalement le voyeurisme ou le pathos. En mettant en scène la ville de Montréal en hiver, en choisissant volontairement ce décor à la fois hostile et magnifique, il donne à son long métrage un écrin qui lui convient parfaitement : le film sera à la fois sobre et profond. La musique est omniprésente mais parfaitement choisie et très agréable à l’oreille, dés les premières minutes du film. Si la réalisation de Vincent est somme toute académique, elle brille essentiellement par sa sobriété et son efficacité : pas de temps morts (alors que le film est très peu spectaculaire), quelques flash back sur l’accident assez bien menés et sans lourdeur, le film nous happe dés la scène d’ouverture (particulièrement lourde) et ne nous lâchera pas, jusqu’à la dernière image (particulièrement légère). Coté casting, Géraldine Pailhas est parfaite dans le rôle d’une épouse très matérialiste, incapable de comprendre le désarroi de son mari, et qui malgré les apparences affables, ne cesse jamais de vouloir le manipuler. Guillaume Cyr et Pierre Curzi incarnent quant à eux des seconds rôles très écrits, qui seront à l’origine (surtout pour Guillaume Cyr) de quelques scènes pleines d’un humour délicat et très efficace. Mais le film, au final, repose essentiellement sur les épaules d’un Thierry Lhermitte bluffant. Alors je vais jouer franc jeu, je ne suis pas une grande fan de Lhermitte, loin de là, et ce n’est pas sur lui que j’aurais misé pour ce rôle. Et pourtant là, je l’avoue, il m’a impressionné. Il donne vie à un Paul Sneijder en pleine reconstruction et qui est traversé par des émotions très violentes et ambivalentes : la phobie (bien compréhensible) des ascenseurs et des endroits clos s’accompagnant étrangement d’un besoin irrépressible de tout savoir sur le monde des ascenseurs comme pour conjurer cet accident abominable. Sa culpabilité de survivant, sa pudeur devant ce deuil qui lui est douloureux, Lhermitte est crédible et attachant de bout en bout, et par son seul regard passe beaucoup, beaucoup de choses. Le scénario de « la nouvelle vie de Paul Sneijder » est plein d’intelligence. Comme je l’ai dit, il traite de sujets lourds mais le film semble paradoxalement léger et optimiste. Sneijder regarde la vie des autres continuer, alors que la sienne semble être à l’arrêt. Ce décalage est parfaitement bien montré par le film qui dénonce, à sa manière, une société à la fois matérialiste et impatiente. Le matérialisme n’est pas incarné que par la femme de Sneijder, mais aussi par l’avocat qu’elle lui choisit. L’obstination de Paul à refuser d’obtenir des millions grâce à la mort de sa fille semble incongrue à leurs yeux, et même l’avocat des ascensoristes lui conseille de ne pas renoncer aux dommages et intérêts : « Si les compagnies ne risquent pas des millions de dollars en cas d’accident, monter dans un ascenseur reviendra à jouer à la roulette russe » ! Et pourtant Sneijder n’en veut pas, de ces millions, et il faut attendre le milieu du film pour comprendre que c’est sa manière de se punir d’avoir été un mauvais père. Le petit flash back avec sa fille Marie, juste avant l’accident, éclaire d’un seul coup beaucoup de choses. Sneijder veut promener des chiens, à la fois pour être au grand air et pour parfaire sa rééducation, il est payé au lance pierre et ramasse des crottes mais il s’en fout, il est heureux et c’est sa manière de conjurer le syndrome post traumatique. Autour de lui, la société n’est pas seulement matérialiste, elle est impatiente : il faut voir un psy, prendre des médicaments, reprendre le travail dans un bureau, se « reprendre en main » et vite, parce que tout doit aller vite. Le symbole de tout cela : l’avocat que lui choisit sa femme à son bureau en haut d’une tour avec vue imprenable sur Montréal et bien personne, ni l’avocat ni même son épouse, ne semble avoir pris en compte qu’il lui faudra prendre un ascenseur pour y aller et que comme il en sera incapable, il lui faudra monter plus de 30 étages avec sa canne ! Paul, en choisissant de changer de vie, déroge tellement à la norme qu’il sera à deux doigts de le payer très cher. Le dernier quart d’heure du film est assez anxiogène, je dois dire, et j’ai crains que le film ne finisse mal, voire très mal. Rien ne sonne faux ou exagéré dans ce film, tout est douloureusement crédible et devrait nous inciter à la réflexion. Sans esbroufe, sans pathos (et même avec quelques touches d’humour efficaces), « la nouvelle vie de Paul Sneijder » est un film pudique et sensible qui, l’air de rien, nous dépeint une société moderne à la fois formatée et sans pitié, une société qui traite bien mal ceux qui refusent d’entrer dans des cases ou, dans le cas présent, ceux qui rechignent à y retourner.