Le nouveau film d’Agnès Jaoui, coécrit avec son compère Jean-Pierre Bacri, est en réalité une sorte de film chorale, avec unité de lieu et, et c’est son principal problème, sans réel fil conducteur. Techniquement il est agréable à suivre, souvent drôle, pas trop long et plutôt bien filmé, avec même quelques jolis plans intéressants. Un flash forward décalé en forme de pré-générique, un joli générique et puis tout au long du film, de la musique, plein de musique quasiment non stop. Que ce soit des morceaux entendus sur l’autoradio, du karaoké (pour le meilleur mais aussi le pire), les morceaux de l’orchestre de la fête ou bien une imitation à moitié réussie d’Yves Montand par Jean-Pierre Bacri/Castro, la bande son est pléthorique et dans l’ensemble très réussie. Le film dure 1h40, et même si on sent qu’il tourne un tout petit peu en rond au bout d’un moment, ce n’est pas à cause de la réalisation mais plutôt à cause d’un scénario qui, voulant tirer un peu tout azimut, ne touche finalement que peu de cibles. En fait de scénario, il n’y en a pas, ou plutôt il n’y a pas d’intrigue à proprement parler. Il y a bien quelques enjeux à dénouer, le principal étant de savoir l’émission de Catro sera reconduite ou pas, et avec lui ou pas, mais ce sont des mini-intrigues secondaires qui sont intéressantes mais qui n’offrent pas une ossature suffisante à un film qui se perd un peu. « Place Publique » n’est pas autre chose qu’une peinture cruelle du milieu de la célébrité, une peinture sèche de l’entre-soi, du parisianisme, d’une certaine forme de snobisme aussi. Il y a aussi évidemment la désormais habituelle critique des réseaux sociaux et des selfies, mais ça c’est presque secondaire, c’est presque là pour ajouter les effets comiques. « Place Publique » est une galerie de personnages dont bien peu peuvent sortent indemne, au final. Parce qu’ils sont parfaitement incarnés, que ce soit par Agnès Jaoui (qui s’autoparodie un peu), par Jean-Pierre Bacri (qui joue sur du velours, encore une fois), Léa Drucker ou bien encore Sara Suco, tous sont croqués avec le cynisme qu’il faut et pas grand monde ne trouve grâce à nos yeux de spectateur. Castro est un animateur de TV toujours habillé en noir, imbu de lui-même, odieux, obsédé par son âge et cocaïnomane. Toute ressemblance avec un « Terrien » étant probablement parfaitement volontaire. Sa vision de la Trash-TV, même si elle est décrite de façon outrancière, fait mouche. La productrice, Nathalie, n’hésitera pas à lâcher l’homme en panne d’audience pour continuer à produire sa camelote, sa sœur Hélène est une idéaliste un peu hors-sol qui entreprend beaucoup, se démène, mais ne change rien à l’état des choses au final, et ainsi de suite. Les seconds rôles ne sont pas en reste avec le mari slave dont on ne comprend pas le français et qui trouve qu’il y a trop d’immigrés, l’agriculteur bio qui n’a ni la TV ni Internet et ne perd jamais une occasion de le faire savoir, ou encore le youtubeur enivré par son propre succès en carton. Ca sent vite la galerie de têtes à claques, où tout le monde se connait, se tutoie mais où personne ne s’apprécie vraiment, une sorte d’entre-soi bien friqué, estampillé « Vu à la TV » où seule les apparences comptent. De temps en temps, la vraie vie s’invite à la fête, en la personne de deux agriculteurs excédés par le bruit, on leur parle gentiment et avec condescendance, puis très vite on ne leur parle plus du tout ! Cette peinture cruelle et cynique n’est pas dénuée d’intérêt mais n’est pas d’une originalité folle non plus. Avec « le Gout des Autres » pour ne citer que celui-là, Agnès Jaoui avait déjà fait ce genre de constat, elle avait déjà esquissé une critique de ce snobisme insupportable, et elle l’avait fait avec plus de tendresse et de subtilité qu’ici. Là, non seulement elle se prive d’une vraie intrigue digne de ce nom au profit de plein de petites intrigues secondaires, mais elle cherche à trop en dire, trop en montrer. Le film se disperse entre les nombreux personnages, faire la critique de ceci, puis de cela, puis de ceci, puis aussi de cela, ça ne fait pas un film cohérent, ça fait « galerie de personnage », et comme ils sont croqués sans ménagement, ça finit en presque en caricature. Même s’il n’y a aucun déplaisir à suivre « Place Publique », le film ne laisse au final que le souvenir d’une accumulation de personnages antipathiques à l’ego surdimensionné, dont certains sont limite caricaturaux, et qui font la fête ensemble alors qu’ils peuvent à peine se supporter. Même si c’est parfois bien vu et souvent drôle, c’est quand même un peu court pour faire un vrai bon film.