Un village de bédouins, dans le désert du Neguev.. Univers déshérité, une route de caillasse, des maisons de parpaings et de planches, enfouies dans la poussière, des escaliers faits de vieux pneus....
C'est la fête chez Suliman (Hitham Omari). La fête des femmes (les hommes festoient ailleurs, sous une tente): Suliman prend une deuxième épouse! Pour elle, il a construit une maison moderne et presque chic, accolée à la maison de la première épouse, Jamila (Ruba Blal), au sol défoncé et à l'ameublement sommaire. C'est Jamila qui reçoit; c'est elle qui a fait la cuisine et demain nettoiera et rangera. C'est elle qui accueille la nouvelle épouse, aussi jeune que grasse, choucroutée et engoncée dans un chou de mousseline blanche. Mais Jamila en a gros sur le coeur. On devine qu'avec Suliman, bel homme d'ailleurs, il y a eu de l'amour. Et on verra au cours d'un bref moment qu'il doit y en avoir encore. Alors pourquoi ce second mariage? Tout simplement parce que, comme dirait Jacques Seguéla, si à quarante ans on n'a pas une seconde épouse, c'est qu'on a raté sa vie......
Suliman a des relations étroites avec sa fille, l'aînée des quatre, Leyla (Lamis Ammar). Ils se parlent franchement; il lui apprend à conduire (ce n'est pas du goût de Jamila). Mieux, il l'autorise à aller à l'université! (ce n'est pas du goût de Jamila....
Le nouveau couple part en voyage de noces. Pendant ce temps, le générateur rend l'âme. Plus d'électricité dans la maison au moment où Jamila entame la grande lessive, tous ces vêtements que Suliman doit emporter propres dans la nouvelle maison..... et les provisions pourrissent dans le frigo.
A l'université, Layla a fait quelque chose de terrible. Elle a parlé à un garçon! Pire, elle lui a donné son numéro de téléphone. Quand Jamila le découvre, Jamila qui remâche sa frustration de femme abandonnée, elle se met dans une grande colère. La honte s'est abattue sur la maison! Le garçon est des plus honnête, il appartient à un village voisin, et il va voir Suliman pour demander Layla en mariage. Mais non. Suliman a déjà choisi quelqu'un d'autre, Mounir, en accord avec le village, et si sa volonté n'était pas respectée, ce serait la honte. Là, Jamila se révolte quand même -enfin!- parce ce miteux de Mounir ne lui paraît pas digne de sa fille, jolie et intelligente... et ose tenir tête à Suliman. Ce qui lui vaut une menace de répudiation, la voilà séparée de ses filles, reconduite chez ses parents...
C'est un cauchemar, cette existence. Jamila est prête à faire vivre à sa fille la même destinée que celle qu'elle a subie, pour respecter les traditions. Certes, elle se rebelle, évolue -mais elle évolue surtout parce qu'elle espérait pour sa fille une union plus prestigieuse. Suliman est prêt à sacrifier la fille dont il est fier, pour respecter les traditions. En fait, Suliman est un faible: il n'aura jamais, de sa vie, effectué un choix clair, un choix responsable. Il s'est borné à suivre les traditions, il s'est plié à tout ce qu'on -la communauté, l'habitude, l'immuabilité-attendait de lui. Islam veut dire soumission. Mais, ce film montre bien que cette soumission va bien au delà de la soumission à Dieu; c'est un abandon complet des désirs, des choix, de l'individualité, de la personnalité. Et même si on est focalisés sur le drame des deux femmes, c'est peut être Suliman le plus intéressant -on oserait presque dire le plus à plaindre! tant il est enfermé dans son système de pensée. Tant il est brimé par le système social qu'il défend.... On pense au roi Philippe II dans Don Carlos, opprimé par l'Inquisition qu'il a portée au pouvoir....
Si les femmes ne se révoltent pas, qui le fera? La dernière image nous ouvre un espoir: c'est Tasnim (Khadija Alakel), la deuxième soeur; c'est encore une petite fille (une douzaine d'années? qui ne doit pas être loin d'être pubère), qui court partout en jean et tête nue; dans cette dernière image elle regarde Layla à travers les barreaux -mais elle, elle est à l'extérieur. On a l'impression que celle là, avec son physique de taurillon, elle ne se laissera pas brider.... Espérons!
Le film est réalisé par une jeune femme israélienne, Elite Zexer, qui dit s'y être complètement immergée. Ce qui, d'une certaine façon, me gêne un peu. N'y a t-il dont personne, dans la communauté palestinienne, qui puisse traiter un tel sujet disons, plus de l'intérieur? Faut il donc qu'il y ait des cinéastes israéliens engagés, comme l'excellent Eran Riklis, pour parler des problèmes des palestiniens? Ici, les jeunes femmes sont des actrices arabes ayant appris le dialecte bédouin pour les besoins du film, car naturellement, aucune femme de la région ne se serait exposée devant une caméra..
Le film a été primé, dans son pays comme au festival de Sundance. .. Il est à voir parce qu'il est beau, passionnant -et qu'on aimerait qu'il permette à certains yeux de s'ouvrir....;