Une relecture moderne de "La petite sirène" sous la forme d'une comédie musicale polonaise teintée du romantisme naïf et d'horreur cruelle du conte de fée danois. Croyez-le ou non mais, en plus de prétendre au titre du Kamoulox de la décennie avec un statut pareil, "The Lure" réussit le tour de force d'aller au bout de ses ambitions un brin hallucinantes !
Golden et Silver, deux soeurs sirènes, sont recueillies par les musiciens d'un groupe qui choisissent de les faire participer en duo à leurs concerts dans un nightclub local. Alors que Silver tombe peu à peu éperdumment amoureuse du bassiste et se met à rêver d'une vie en tant qu'humaine, Golden, elle, a bien du mal à résister à son instinct animal...
Dans la liste des trucs les plus improbables que l'on ait vu ces dernières années, "The Lure" fait une arrivée en fanfare !
Bon, il faudra bien sûr faire fi de son côté complètement bordélique qui choisit de laisser une place bien trop importante aux numéros musicaux et, forcément, vu leur profusion, ceux-ci ne sont pas tous de la même qualité ou amène des transitions totalement abruptes entre une séquence légère et une autre bien plus profonde mais, surtout, leur place prédominante empêche parfois le film de développer et de relier entre eux une galerie très importante de personnages secondaires qui, au final, donneront l'impression de n'être que de simples pions sur le chemin des deux petites sirènes (seuls les membres du groupe ont réellement le temps d'exister, il est fort dommage que Triton et la sorcière prenant la forme de plusieurs figures féminines n'en soient réduits qu'à quelques scènes).
Car c'est bien évidemment le traitement poétique de ces deux êtres marins mythiques dans une réalité très proche de la nôtre par ses problèmes qui fait tout le sel de "The Lure". En juxtaposant le malaise d'une adolescence féminine malmenée au conte d'Andersen, Agnieszka Smoczyńska traduit avec pertinence et justesse les émotions exacerbées de cet âge que cela soit par un premier amour traité avec toute l'innocence de l'histoire d'origine via Silver ou des passages tenant plus du cinéma d'horreur (et de donc la cruauté du conte) via la solitude et le mal-être s'incarnant dans la résurgence des instincts primaires de Golden, les caractères d'abord opposés des soeurs étant bien entendu amenés à se confondre. C'est d'ailleurs lorsque les passages musicaux s'allient à leurs états d'âme les plus profonds qu'ils prennent la plus belle dimension, souvent transfigurés par des tableaux métaphoriques d'une beauté éblouissante (la scène de l'opération, sublimissime, restera dans les mémoires).
Et, lorsque la dernière partie choisit de respecter à la lettre le conte en faisant intervenir les ténèbres dans la vie de Silver, la fin du film nous laisse sur une note d'infinie tristesse, d'un symbolisme terrible et d'une forme de catharsis contagieuse par l'intermédiaire de Golden.
À la fois original, visuellement bluffant, passionnant, intelligent, naïf mais tout de même aussi maladroit et foutraque, "The Lure" est une vraie proposition de cinéma comme en on voit rarement. Et ce n'est qu'un premier film...