En ces temps de rigidité et de raidissement communautariste, ressort un très salutaire documentaire de Pierre Barouh, Saravah (1969), qui chante la possibilité d’un métissage aussi heureux que réussi.
« S’il est une samba sans tristesse, c’est un vin qui ne donne pas l’ivresse »… Telles sont les paroles de la Samba Saravah, de Vinicius de Moraes et Baden Powell, qui ouvre le film, à la fois mythique et confidentiel, tourné à Rio de Janeiro par Pierre Barouh (19 février 1934, Levallois-Perret – 28 décembre 2016, Paris) dans l’hiver 1969 et bénéficiant aujourd’hui d’une nouvelle sortie après restauration. Creusant le sillon, mais ici sous forme documentaire, de la sombre et lumineuse réalisation de Marcel Camus, Orfeu Negro (1959), sortie dix ans plus tôt, l’écrivain-musicien-acteur-réalisateur et baroudeur, épisodique mari d’Anouk Aimée de 1966 à 1969, contourne rapidement la joie pailletée du Carnaval de Rio pour s’enfoncer dans le dédale autrement fascinant des racines africaines de la samba. Univers marqué par la mélancolie et la perte, comme l’illustrait déjà le chant phare d’Orfeu Negro, l’envoûtant A felicidade de Tom Jobim et du même Vinicius de Moraes : « Tristeza não tem fim / Felicidade sim ».
Tourné en quelques jours, grâce à l’équipe technique (Yann Le Masson à l’image, Jean-Claude Leaureux au son) qui se trouvait initialement sur place pour un film du réalisateur et ami de Pierre Barouh, Pierre Kast, Saravah (parole de salutation et de protection africaine qui correspondrait à la traduction du mot hébraïque « barouh ») offre une déambulation poétique et charmée d’un maître de la samba à l’autre, guidée et commentée par l’ami de toujours, le chanteur et guitariste virtuose Baden Powell (6 août 1937, Rio de Janeiro – 26 septembre 2000, Rio de Janeiro). On passe ainsi des anciens – le saxophoniste et compositeur Pixinguinha (23 avril 1897, Rio de Janeiro – 17 fevrier 1973, Rio de Janeiro), d’abord lors d’un libre entretien dans un café puis dans l’exercice de sa grande virtuosité instrumentale, le chanteur João da Baiana (17 mai 1887, Rio de Janeiro – 12 janvier 1974, Rio de Janeiro), déjà très âgé mais impeccable dans son costume colonial de lin blanc et les pieds animés par des rythmes africains immémoriaux, s’accompagnant imperturbablement d’un couteau frotté contre le rebord d’une assiette – aux plus jeunes et encore promis à un bel avenir : la fascinante Maria Bethânia (18 juin 1946, Bahia – ) et sa belle voix légèrement rocailleuse, son plaisir extrême, communicatif et partant en rire, dans la pratique du chant ; Paulinho da Viola (12 novembre 1942, Rio de Janeiro – ), au chant souple, serpentin, et fondateur de l’école de samba Portela. Les entretiens se mêlent au chant, l’un débouchant toujours sur l’autre et lui donnant étroitement la main, en une ronde inlassable et fascinante.