Pour son premier long métrage, Marine Francen a choisi de mettre en images un court récit de Violette Ailhaud « L’homme semence ». Violette Ailhaud née en 1835 a 17 ans en 1852 et en âge de se marier quand la totalité des hommes de son village sont raflés par les soldats de Napoléon III à la suite du soulèvement républicain de décembre 1851 en réaction au coup d’état du 2 du même mois. Violette Ailhaud, institutrice, n’écrira son récit qu’en 1919, au moment où pour la seconde fois son village perdra tous ses hommes, le dernier, le jour de l’armistice…Elle confie alors son manuscrit à un notaire avec pour consigne de n’ouvrir le testament qu’à l’été 1952 et de ne le remettre qu’à un descendant féminin âgé de 15 à 30 ans…Yveline alors âgée de 24 ans se voit confier le texte, texte qu’elle confie aux éditions Paroles en 2006. Dans le récit de Violette Ailhaud, les femmes condamnées à un isolement total, font le serment que si un homme vient au village, il sera leur mari commun afin que la vie continue dans le ventre de chacune…Tombant sur le livre, Marine Francen a été séduit tout autant par sa thématique que par sa force poétique. Le film commence le matin de la rafle, les hommes sont emmenés, poings liés, le mari de Rose, Antoine tombe sous les balles des soldats pour avoir crié Vive la République, Vive la France. Au village la vie reprend sous l’impulsion de Marianne dont le mari républicain militant, sachant lire, était lui-même la référence du village…Elle est secondée par la doyenne, Blanche, au sourire bienveillant, un peu magnétiseuse et guérisseuse…Ces femmes sont perdues au milieu de nulle part, le village se dresse sur un piton rocheux, resserré autour d’une tour, vestige d’un ancien château, accroché au bord d’un précipice un peu comme ces femmes le sont. Marianne interdit de descendre aux nouvelles dans la vallée, nul ne doit savoir que des femmes sont seules et pratiquement sans défense, à part quelques fusils ayant échappés à la rafle. La vie s’organise rythmée par les indispensables travaux des champs…mais l’absence prolongée des maris et fils commence à peser, sur cette communauté de femmes incapables d’envisager une vie sans hommes, une vie sans amour charnel et sans désir d’enfantement…Comme dans le récit, elles prennent donc l’engagement de partager un homme, s’il en arrivait un… Et cet homme c’est Jean, qui descend par les crêtes, un baluchon sur l’épaule, se disant forgeron et cherchant un abri pour la nuit. Violette, la fille de Marianne qui l’accueille et avec l’assentiment du groupe, lui offre le gite…l’homme est mystérieux et est peu loquace sur ce qui peut se passer ailleurs…plus ou moins rassurées, les femmes lui proposent le gite et le couvert en échange d’une participation aux travaux des champs… Ce qui n’était pas prévu arrive…l’amour entre Jean et Violette, entre deux êtres qui savent lire et communient dans l’admiration de Victor Hugo et de Voltaire… cette liaison se développe sous l’œil bienveillant de Marianne, Blanche et de la communauté des femmes, jusqu’au moment où les jeunes femmes rappellent à Violette son engagement… L’arrivée d’un homme dans une communauté de femmes nous ramène au récent film de Sophia Coppola, les Proies, mais dans le film de Marine Francen, nulle exacerbation des sentiments, nulle hystérie, mais une grande douceur, un grand lyrisme…une pulsion de vie. On échappe aux stéréotypes « semailles et moissons » au profit d’un naturalisme servi par les paysages magnifiques du nord des Cévennes superbement mis en valeur par la photographie d’Alain Duplantier….le choix inhabituel du format 4/3 , qui donne un écran carré, offre un cadre à une composition que d’aucun trouveront trop léchée, mais qui évoque, Vermeer pour les intérieurs, Van Gogh ou Millet pour les travaux des champs et le rythme des saisons…C’est d’ailleurs en hommage à Millet que le film s’appelle Le Semeur alors que l’Homme semence était plus explicite…l’interprétation toute en retenue de Pauline Burlet et d’Alban Lenoir, la justesse de Géraldine Pailhas, la douceur de Françoise Lebrun, servent superbement ce film original que j’ai particulièrement aimé…