Que deviennent les femmes quand les hommes font la guerre ? Ayant débusqué un roman oublié paru en 1924 et signé d’Ernest Pérochon, un écrivain qui ne l’est pas moins, Xavier Beauvois, en l’adaptant, a tenté, à sa manière, de nous le faire voir. En 1915, année où débute le récit, tandis que les hommes en âge de combattre sont sur le front, il ne reste dans les campagnes françaises que les femmes, les enfants et les vieillards. Ce sont donc elles, les femmes, qui ont le devoir de faire tout le travail. Dans une des fermes, Hortense (Nathalie Baye) et sa fille Solange (Laura Smet) se tuent à la tâche au point que la première se résout à embaucher Francine (Iris Bry), une fille de ferme toute jeune, afin de les soulager d’une partie du travail.
Rythmée par le labeur de la ferme, la première moitié du film de Xavier Beauvois est très touchante et très belle. Le cinéaste prend le temps d’accompagner les femmes, tout au long des saisons, dans chacune de leurs besognes et de leurs occupations. Il n’y a pas besoin de beaucoup de dialogues, les images suffisent. On ressent la peine des femmes, dans tous les sens du mot : la fatigue causée par les travaux et la souffrance de savoir leurs hommes en train de combattre, de risquer d’être blessés, voire tués. Au point que quand parvient la nouvelle qu’un d’eux est fait prisonnier et qu’il est détenu en Allemagne, c’est presque un soulagement : au moins, sa vie n’est plus en danger ! Car si les hommes sont le plus souvent absents physiquement, ils occupent néanmoins toutes les pensées. Et quand l’un ou l’autre vient à la ferme pour une permission de quelques jours, on le fête, on le félicite, on le fait même venir à l’école afin d’écouter les élèves réciter un poème « anti-boches » ! Mais, au fil du temps, se laisse deviner bien autre chose que les honneurs : quand les soldats parlent, ils se mettent à évoquer la folie des combats, l’inhumanité de leur condition, le spectre de la mort…
Dans ce film de peine et de douleur, persiste néanmoins un visage de beauté et de lumière, celui de Francine. Superbement incarnée par Iris Bry, la jeune femme, dès sa première apparition et jusqu’au terme du film, l’éclaire par sa seule présence : une personnalité si radieuse qu’elle en vient à générer des jalousies et même du rejet. Car c’est dans une histoire de rancœur que le film bascule dans sa deuxième moitié, lui donnant malheureusement une teinte plus banale et plus convenue. Dès la scène où l’un des fils, en permission dans la ferme familiale, fait un cauchemar en se voyant tuer des Allemands (une scène très maladroitement réalisée), le film perd une bonne partie de sa force et de son intérêt. L’histoire d’amour entre celui-ci et Francine, les rivalités et jalousies qui en découlent, le voisinage des Américains venant semer le trouble, tout paraît soudain plus terne. Seul le sort réservé à Francine nous touche encore. Mais le film qui, au début, fascinait comme une suite de tableaux, devient beaucoup plus quelconque tout en échappant, fort heureusement, à trop de simplification ainsi qu’aux récupérations partisanes (celles du féminisme le plus étroit par exemple – le film est féministe, si l’on veut, mais il ne l’est pas d’une manière bornée).