Vu en avant-première à l'ENS, en présence de Philippe et Nabil, deux salariés parties prenantes de la grève des PSA Aulnay, qui a duré de janvier à mai 2013. Ma critique s'appuie sur les échanges qui ont suivi la projection.
Quelques éléments de contexte sont rappelés en préambule : Auparavant implantée Quai de Javel, l'usine Peugeot avait été sortie de Paris pour rejoindre le site d'Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne, en 1973. Dans cette usine à la pointe de la modernité, les 3000 salariés du site en 2012 (ils étaient 7000 à l'origine) produisaient le modèle C3, le plus vendu de l'histoire du groupe. Le film commence par la divulgation par la CGT d'un document confidentiel de la direction en juillet 2011, qui établit les bases d'un plan social et de l'arrêt complet de la production de l'usine d'Aulnay. Il suit ensuite le combat acharné des salariés grévistes - plus de 600 au plus fort du mouvement -, et s'attarde sur leur manière de s'organiser, de s'épauler et résister aux intimidations, de convaincre, bref, de lutter.
La grande réussite de ce film est de donner de nombreux éléments "pratiques", presque clef-en-main, d'une grève durable et réussie. A commencer par la constitution du Comité de Grève, instance véritablement démocratique qui vise à dépasser les guéguerres intersyndicales et à associer tout le monde : 1 salarié gréviste = 1 voix. Le législatif et l'exécutif se confondent : ceux qui décident des actions sont les mêmes qui les appliquent, alors que des comités spécifiques sont créés (alimentation lors des déplacements, service d'ordre, caisse de grève, appels à la solidarité des Maires, etc.
Le parti-pris de la réalisatrice est de réserver son regard au collectif, dans l'usine et dans les manifestations successives. Grandes assemblées, discours survoltés, discussions et débats plus intimistes... Le spectateur vit en immersion dans la lutte, de l'intérieur, en ignorant ses conséquences sur la vie de famille des grévistes par exemple, et du même coup le pathos qui aurait pu en découler. On ressent de l'empathie, de la révolte et parfois de la douleur pour ces hommes et ces femmes, mais comme eux, à aucun moment on ne s’apitoie sur leur sort.
Le collectif se dépasse, se sublime. Face aux CRS, on forme des chaines de grévistes, et lorsque la chaine se brise et que certains sont embarqués, les copains les suivent volontairement dans le bus, dictent au chauffeur quand fermer le portes, gardant ainsi l'ascendant psychologique. On survole également la volonté d' "extension des luttes" dans une très belle scène où les PSA rejoignent des salariés de Renault, eux aussi en grève. Le portail est forcée ; symboliquement, on doit pénétrer sur le site. « Il y a des gens, ici, je ne les aime pas ; il y a des gens, je les aime trop. Mais maintenant, je vais mettre de côté ma rancœur pour la bagarre ». Cette phrase résume bien la sacralisation du collectif dans le film, et il est en cela complémentaire à Merci Patron! qui se centrait lui sur un combat visant certes à être généralisé, mais individuel. Là ou les Klur ont extorqué 60 000 € à Bernard Arnault, les grévistes en arracheront 10 millions à Philippe Varin.
Les basses manœuvres et intimidations de la direction ne les feront jamais craquer, toujours dignes et jamais résignés. Mais de l'aveu de Philippe Julien après la projection, si le "lock-out" décidé par la direction trois jours après le début de la grève n'a pas empêché le mouvement de continuer à rassembler, il l'a empêché d'atteindre la masse critique de 1 000 grévistes qui aurait permis une sorte de point de non-retour et de tout autre rapport de force.
On ressort de Comme des Lions la rage au ventre, dotés de clefs de compréhension et d'outils de lutte salvateurs dans un contexte de dénigrement sans précédent du monde ouvrier et du monde du travail en général. Merci Patron! et Comme des Lions tombent à point nommé ; suivons le mot d'ordre de F. Lordon et tâchons d'en faire un événement réel.