À coup sûr moins accessible que le sublime "L'Inconnu du lac", le nouveau film d'Alain Guiraudie n'est pourtant pas aussi radical qu'une partie de la presse le prétend. Épars dans ses sujets abordés (précarité sociale, crise de l'artiste, crise affective, euthanasie, ravages du loup dans les campagnes), "Rester vertical" est pourtant très tenu, maîtrisé en ce qu'il confronte à cette pluralité de sujets très peu de personnages mais ne se fixe jamais trop longtemps sur le même groupe et le même lieu. Le film vit de son mouvement permanent entre la Lozère et Brest, entre des sans-abris et un vieil homosexuel malheureux qui entretient une relation compliquée avec un jeune homme, entre une médecin aux méthodes peu orthodoxes et un couple instable, puis déchiré, au sein duquel se trouve Léo, cinéaste en panne d'inspiration sans domicile fixe qui va à la rencontre de ces hommes de l'ombre, oubliés par la société, ces hommes qui vivent sous les ponts ou retranchés dans la "France profonde". Le film ne cesse de bouger parce que son protagoniste est insaisissable, autant dans ses déplacements que dans sa psychologie : anti-psychologique, le film l'est assurément et c'est là que se situe sa difficulté car on ne sait finalement jamais trop pourquoi les personnages agissent de telle sorte; il y a les actes mais peu d'explications, ce qui fait la force et nourrit le mystère du film, extrêmement stimulant. Rien qu'à l'idée de filmer la ruralité, beaucoup de cinéastes se seraient accrochés à un naturalisme déprimant; au contraire, Guiraudie va vers l'étrangeté avec des trouvailles scénaristiques parfois improbables et une mise en scène frontale mais jamais gênante, pousse son histoire vers le mythe (l'homme et le loup) et toutes les interprétations symboliques permises en filmant par exemple Léo tenant un agneau dans ses bras sous un ciel étoilé, image magnifiée par une photographie éblouissante, qui transcende certaines séquences dont le final, d'une intensité peu commune. On est d'abord désarçonné par "Rester vertical", se demandant où il veut bien aller; puis, bercé par son rythme, sa lenteur et ses soudaines accélérations, emporté par ses provocations engagées et son imprévisible drôlerie, on adhère petit à petit à ce film risqué, sinueux et tortueux, qui mérite certainement plusieurs visions afin d'être mieux cerné.