Que l'on adooore ou que l'on soit outré et que l'on sorte au milieu de la séance, le moins que l'on puisse dire c'est que « Rester vertical » ne laisse pas indifférent. À la sortie de la salle, il y avait les gens scandalisés d'avoir vu des gros plans de sexes en action et d'accouchement, les personnes touchées par la misère humaine, les dubitatifs cherchant un sens...
Le sexe ne me gène pas, je trouve moins pornographique une scène érotique entre gens consentants que la moindre tuerie d'un film d'action. Mais il semblerait qu'un phallus en érection soit plus dangereux que l'apologie des armes à feu.
Je n'ai pas ressenti la misère aussi profondément que d'autres spectateurs ; ou plutôt je ne crois pas qu'il s'agisse du propos principal du film.
Bien sûr le protagoniste est dans la mouise, emprunte de l'argent à des fantômes de son passé, d'une vie antérieure (le personnage du réalisateur), il traîne ses guêtres d'hôtels en soupentes. Mais la marginalisation de Léo tout au long du film semble le conduire, à la fin, à un équilibre hors de la morale acceptable et dans lequel l'argent ne serait nécessaire que pour pouvoir être avec son fils. C'est la seule véritable misère du personnage, cette douloureuse absence.
Le propos principal me semble plutôt la grande fresque d'une morale réfractaire : il y a une grande liberté sexuelle dans l'écriture de Guiraudie :
lorsque Léo rejette Jean-Louis, ce n'est pas par hétérosexualité stricte ou par homophobie (comme il le prouvera plus tard), c'est parce qu'il ne veut pas coucher avec le grand-père de son fils, ce qui est malgré tout une restriction morale qui aurait aussi pu être discutée ; l'euthanasie semble aussi normale, d'un point de vue morale, que l'homosexualité pour Léo, il ne s'en défend pas auprès des gendarmes ; aussi normale que la sexualité des vieux (sujet qui me semble aujourd'hui plus tabou que l'homosexualité) : et Marcel, le vieux raciste homophobe, meurt sodomisé et digne dans son suicide.
L'égalité des genres semble également acquise, au moins pour l'auteur, parfois contre ses personnes.
Et malgré les tirades misogynes du vieux et un relent de morale réac de la part de Léo, Marie est très claire : si une femme peut s'occuper d'un bébé, un homme en est capable, ça coule de source.
Cette morale parallèle se confronte au moins trois autres fois à la morale dominante contre qui elle ne peut lutter :
D'abord, alors que Léo n'a plus un sous, plus de toit et qu'il s'apprête à dormir sous le pont des clochards, il se fait dépouiller par ces derniers, rebuts du monde ordinaire et cependant intégrés à celui-ci. Les clochards, bien qu'à la marge, s'intègrent au monde que Léo fuit et il pensait, à tort, trouver auprès d'eux des compagnons hors-l'éthique.
Ensuite, lorsque Léo découvre l'article du journal dans lequel il est décrit comme nécrophile, sodomite, homosexuel et meurtrier après avoir aidé Marcel à mourir dignement. La morale dominante le pousse définitivement à vivre isolé.
Enfin, lorsque les services sociaux décident de ne plus le laisser s'occuper de son fils. Si Léo fait parfois preuve de quelques négligences et si l'amour paternel, bien présent, est un peu envahissant, son bébé mange à sa faim, n'ai jamais maltraité et on imagine qu'il pourrait s'épanouir dans ce monde bohème pour devenir, qui sait, un ami des frères Fortin dans « La vie sauvage », un neveu du « Captain Fantastic ».
Le monde dominant, ordinaire sort victorieux mais n'a pu empêcher l'émergence d'une morale parallèle, d'un monde dans le monde, avec ses propres valeurs.
¿ Et les loups dans tout ça ? Le film ne peut pas être vu au premier degré, il y a trop de détails surréalistes pour y croire. Les loups entrent dans un ensemble allégorique où je me plais à imaginer qu'ils représenteraient la morale, le monde que Léo fuit presque involontairement durant tout le film sans réussir, même dans la scène finale, à s'en débarrasser complétement. « Attends, tu vas tout faire rater, j'y suis presque ». Cette morale le suit, le tue métaphoriquement, comme le loup tue réellement, il est sur le point de la dompter mais face à elle, il ne peut, finalement que rester droit, sans jamais tomber ou même de se courber, vertical.