Dix-neuf ans. C’est le temps qui sépare le premier « X-Men » réalisé par Bryan Singer et ce septième et dernier opus que nous offre là la Fox. Et c’est peu dire qu’il s’en est passé des choses au cours de ces dix-neuf années ! En 2000 « X-Men » sort à un moment où les films de super-héros sont diffusés à la marge des grosses productions ; se réduisant régulièrement à des séries B sans le sou ; et ne rencontrant que très rarement le public et la reconnaissance. Le film de Singer se démarque alors par sa volonté de tenir un propos riche de sens au travers de personnages complexes, sans pour autant fuir l’épopée spectaculaire et le respect d’une certaine pop culture. Ce film, en plus d’être de très bonne facture, a su en plus se poser comme un vrai tournant dans le genre. Il va ouvrir la voie à tout un courant de films de super-héros signés de mains de maître, qu’il s’agisse de la trilogie « Batman » de Christopher Nolan, du « Hellboy » de Guillermo Del Toro, ou bien encore du « Watchmen » de Zack Snyder. Une époque bien lointaine au regard du contexte de sortie de ce « Dark Phoenix ». En effet, 2019 c’est l’année d’ « Avengers Endgame », la conclusion (temporaire) d’une armada de films franchisés Marvel. Le monde n’est plus aux films sans le sou. Ces mastodontes se partagent les salles de cinéma à coups de budgets faramineux, drainant au passage des audiences pratiquement jamais vu auparavant. Et l’air de rien, dans ces dix-neuf ans d’histoire, « Dark Phoenix » se pose lui aussi comme un tournant. Il est le dernier film « X-Men » avant que la franchise ne bascule à son tour dans le tourbillon du MCU. Du coup la question pouvait légitimement se poser : « Dark Phoenix » allait-il être le chant du cygne d’un héritage « bryansingerien » appelé à disparaître ? Ou bien au contraire, allait-il se fondre dans le moule du moment, comme son prédécesseur « Apocalypse » avait eu tendance à le faire ? Eh bien pour ma part, maintenant que j’ai vu ce film, j’aurais tendance à répondre d’une manière qui me surprend moi-même : ni héritier de 2000, ni produit formaté aux standards MCU de 2019 : « Dark Phoenix » est un petit peu les deux à la fois. Le début de ce film tranche de manière assez saisissante avec les canons du temps présent. On ne commence pas par un défouloir d’action. On part d’un personnage et on le construit au travers d’un événement fondateur à la fois éloquent, bien mis en scène et surtout bien focalisé sur ses enjeux. Et même si l’écriture et la direction d’acteurs manque un peu trop de retenue et de subtilité à mon goût, je trouve que ce début de « Dark Phoenix » a su renouer agréablement avec les fondamentaux de la saga. Certes l’action ne tarde pas à faire son apparition, mais elle se met rapidement au service des personnages et de ce qu’on veut révéler d’eux. L’intrigue s’articule autour d’antagonismes qu’on prend le temps d’expliquer, d’incarner et de rendre cohérents. Et surtout la mise en scène est posée – parfois même inventive – cherchant toujours a sublimer la situation sans rentrer dans l’esbroufe inutile. Tout ça, ça vaut – en gros – pour toute la première demi-heure du film. Et puis progressivement, le film commence à basculer vers autre chose. Les positions de chaque personnage se figent. On commence à multiplier les scènes qui se veulent spectaculaires. Les CGI prennent de plus en plus de place. On sensationnalise. On simplifie. On sacrifie la cohérence sur l’autel du symbole, de la tension ou de la scène facile. Et là, soudainement, on se retrouve à nouveau en 2019, en plein milieu d’un film MCU. Alors certes, le pire vaut surtout pour la dernière demi-heure, ce qui pourrait minimiser l’effroi. Sauf que la période de transition vers ce final « avengeresque » n’est pas forcément plus agréable puisqu’elle annonce régulièrement l’hécatombe à venir. Le premier moment de bascule se trouverait dès l’entrée en scène des super-vilains de ce film : des extra-terrestres à la recherche du Phoenix. Ça commence par des lumières au loin, un chien qui aboie et des silhouettes sombres au milieu des bois. C’est mystérieux tout bien comme il faut. Et puis soudain – patatra ! – ces aliens, le film finit par nous les montrer. Grincement de dents. Mais pourquoi faire ça ? C’était comme si Simon Kinberg avait débuté sa scène par ce qu’il voulait faire – par ce qu’il savait efficace – et puis qu’au bout d’un moment, il s’était rappelé au cahier des charges du MCU : « puisque les gens ont payé pour voir, il faut qu’ils voient. » Une triste mécanique imposée en 2019 mais qui n’avait pas forcément cours en 2000. Un moment qui annonçait déjà la tragédie à venir. L’autre moment de mauvais augure, il survient un bon quart d’heure plus tard. Il s’agit d’un drame inattendu :
la mort de Raven. Alors c’est vrai : c’est cool les surprises. Mais dans ce cas-là, moi, ça me perturbe. Parce que bon, dans le « X-Men » de 2000 – et qui est sensé se passer en 2000 – elle est là Raven ! Or ce Dark Phoenix il est sensé se passer en 1992. Si Raven meurt en 1992, comment ça se fait qu’on la retrouve en 2000 ? Et qu’on ne me parle pas de reboot avec l’épisode « First Class » hein ! « First Class » c’est une prequel qui intègre la première trilogie « X-Men » à sa diégèse ! Il n’y a aucune ambiguité là-dessus ! Logan y est incarné par Hugh Jackman et dans « Day of the future past » le jeune Xavier joué par James McAvoy rencontre son lui-même du futur joué par Patrick Stewart ! les deux univers sont liés, du coup comment Raven peut-elle mourir ? Je vais même plus loin : comment Phoenix peut-elle se révéler dans ce film ??? La révélation de Phoenix elle est annoncée à la fin de « X-Men 2 » et elle se produit dans « X-Men 3 » ! Comment ça se fait que Jean Grey devient Phoenix puis meurt pour la cause en 1992, pour revenir ensuite sans que personne ne se doute de rien ? Et puis pendant qu’on y est : pourquoi entre les années 1960 et 1990, Magneto garde la fraiche bouille de Michael Fassbender, mais qu’en huit ans de temps, il se transforme soudainement en vieux Ian McKellen ?! Y’a un épisode que j’ai loupé ? Y’a eu une histoire de monde parallèle qui a popé par surprise pendant le moment où je dormais devant « Apocalypse » ?
Moi, ce genre de trucs, ça me sort clairement du film. Que ce « Dark Pheonix » décide de se moquer sciemment de la cohérence d’ensemble de sa propre saga, franchement ça me gonfle. Il y a un côté : tous les coups sont permis. Les gens veulent du « X-Men » ? Ils veulent des personnages féminins forts à la sauce post#metoo ? Ils veulent Sophie Turner ? Alors ils en auront ! Tant pis pour la logique ! Tant pis pour la cohérence de l’œuvre ! Tant pis pour le respect du travail des anciens ! De toute façon un fan, ça ne réfléchit pas : si on lui donne ce qu’il veut, alors il se laissera prendre par son trip et il ne posera pas de question. Il inventera à lui tout seul une explication de pleine mauvaise foi. Ou alors il dira qu’il s’en fout. Il se taira si à la fin on lui offre ses icônes sans trop les trahir. Et le pire, c’est que je me rends compte qu’avant d’aller voir ce film, j’étais moi-même tombé dans le panneau. La seule existence de ce film aurait dû m’interpeller. Un épisode sur Phoenix se passant AVANT la trilogie de Singer / Ratner ? Non mais depuis le départ ça n’a aucun sens ! Seulement voilà, ça traitait de mon personnage préféré dans « X-Men » – qui plus est un personnage incarné par une actrice que je ne trouve pas désagréable à regarder – et je ne me suis même pas posé la question ! J’étais prêt à me laisser embobiner gentiment et consciemment. Et le pire, c’est que j’aurais presque pu le défendre ce film si encore il avait su vraiment rendre honneur au personnage de Jean Grey. Seulement voilà – et c’est peut-être au fond ce qui fait la bascule dans mon cœur – c’est qu’en plus de tous les problèmes que j’ai pu citer auparavant – il se trouve que se rajoute à ça le fait que ce film passe totalement à côté de son sujet. A l’origine, Jean Grey, quand elle opère sa bascule pour devenir Phoenix, c’est une femme pleinement mature. Et sa bascule est d’autant plus glaçante et fascinante qu’elle se fait sous la forme d’une sorte de déshumanisation, de désincarnation, de désintéressement. La Jean Grey de Sophie Turner est tout l’inverse. C’est une grande adolescente qui se cherche encore. Sa transformation se fait à travers la colère et la frustration. Il y a un petit côté gamine en mal-être plutôt qu’une femme en pleine transcendance d’elle-même. On est plus proche d’Andrew Detmer dans « Chronicle » que de Docteur Manhattan dans « Watchmen ». Autant de ratés qui m’amènent finalement à une simple question : pourquoi ? Pourquoi ce film ? Pourquoi tout ça ? J’ai l’impression que ce film n’existe uniquement que parce que la Fox se devait d’honorer son contrat jusqu’au bout. Alors on a pris un truc vite fait histoire d’écluser la chose et de passer enfin au vrai projet : l’intégration de « X-Men » au MCU. Ils se sont dit que les héroïnes féminines ça marchait plutôt pas mal en ce moment – que la vague « Game of Thrones » aussi – et bim : « Dark Phoenix ». Et moi franchement ça me désole. Ça me désole parce qu’au fond il y avait encore des bonnes choses à faire avec cette saga. Ça me désole parce qu’il y avait moyen de boucler la boucle. Ça me désole parce que Simon Kinberg avait su proposer là un produit plus que regardable à défaut d’être pleinement intelligible. Bref, tout ça au fond me rend bien triste parce que, l’air de rien, ce « Dark Phoenix » aura su me rappeler les joies de 2000, tout en m’abandonnant malgré tout aux milieux des aigreurs de 2019. Et subir dix-neuf ans d’écart en seulement deux heures de film, quand on y réfléchit bien, c’est quand même un peu trop pour un seul homme… Bon après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)