L'affiche est explicite : d'un côté, une très jeune fille qui dans les années 20 - 1927, la précision est d'importance - traverse un Manhattan en noir et blanc ; de l'autre, un petit garçon de 12 ans qui arpente dans les années 70 - 1977, soit 50 ans plus tard - les rues d'un New York éclairé de belles couleurs seventies. Deux mondes éloignés dans le temps mais rapprochés géographiquement, deux enfants qui ont vécu des solitudes identiques - elle, Rose, est muette de naissance, lui, Ben, est devenu sourd au cours d'une nuit d'orage. Et tous deux sont animés d'un même désir : quitter la maison familiale pour gagner New York afin de rencontrer, pour Rose, une mère actrice qui délaisse sa fille, et pour Ben de découvrir qui était son vrai père. Voilà qui a tout d'un scénario pour enfants et de fait le réalisateur, Todd Haynes, adapte ici un roman de Brian Selznick destiné à des lecteurs adolescents. Or la narration n'a rien de simpliste : bien au contraire, elle repose sur une alternance très maîtrisée de noir et blanc (occasion de rendre un bel hommage au cinéma des années 20) qui nous permet de suivre l'itinéraire muet de Rose, et de couleurs très seventies qui éclairent le parcours new-yorkais du jeune Ben. La quête des deux enfants est remarquablement scénarisée, plongeant le spectateur dans un univers de conte qui nous conduira au(x) musée(s) des merveilles. Certes le dénouement est assez prévisible et l'on peut regretter qu'il se situe dans un registre mélodramatique. Toutefois Todd Haynes tire magistralement parti des lieux et en particulier des deux musées évoqués. Autre regret : si la bande son est fort soignée, il n'en demeure pas moins que dans ce film le plus souvent muet la musique de Carter Burwell se fait par moments envahissante. Cela dit, on appréciera l'adaptation inattendue et pleine de fantaisie de l'introduction du Zarathoustra de Richard Strauss par le compositeur brésilien Eumir Deodato. En revanche, nulle réserve sur la prestation des deux enfants, Oakes Fegley et Millicent Simmonds, très investis dans leurs rôles et jouant l'un de son naturel de gamin déluré mais sensible, l'autre de son indéniable présence de jeune actrice. Également parfait dans le rôle de Jamie, le garçon que Ben rencontre au Musée d'Histoire Naturelle de New York et qui devient pour lui un véritable ami, le jeune Jaden Michael. Et les adultes dans tout cela ? Julianne Moore et Michelle Williams ? Épatantes bien sûr, mais elles doivent affronter la concurrence ô combien sympathique - et involontaire - des trois jeunots qui ont la grâce de l'enfance pour eux. Bref, le film de Todd Haynes se donne à voir comme un film qu'il faut découvrir et savourer avec un regard émerveillé ("Wonderstruck" est le titre original), le regard de l'enfant que tout cinéphile a plus ou moins gardé quand il se trouve face à l'écran magique.